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Affaire Tariq Ramadan : Lettre ouverte à Emmanuel Macron, président de la République

« J’accuse… ! »

Monsieur le Président,

« Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice. » C’est ainsi que débute Zola, dans sa lettre dénonçant le procès de l’affaire Dreyfus. 125 ans plus tard, en tant que citoyenne française, je souhaite moi aussi prendre parole pour mes concitoyens. Prendre parole pour une France unie et juste qui ne vilipende pas un homme en fonction de sa confession ou de son idéologie. Une France qui, forte de son Histoire, lutte et œuvre contre l’antisémitisme, l’islamophobie et contre toute forme de xénophobie. « Nous sommes l’étranger de l’autre », disait la psychanalyste Marinette Motti. Il serait temps qu’en France le débat public s’oriente vers l’union plutôt que vers la division.

J’accuse une procédure qui a été bâclée et une négation de la présomption d’innocence

Le Professeur Tariq Ramadan est incarcéré en détention provisoire depuis le 2 février 2018, après s’être présenté à la justice de son plein gré, en homme libre. Il était confiant tant en la justice qu’en la suite de la procédure. Il clame son innocence depuis le début dans une affaire de mœurs qui a pris la direction d’une affaire aussi politique qu’idéologique.

Dès la première audition, les incohérences et contradictions dans les témoignages des deux premières plaignantes, signalées par l’équipe juridique de Tariq Ramadan, ont été ignorées. Sans prendre le temps de mieux connaître et de comprendre tant la psychologie que l’histoire des plaignantes, un début d’enquête à charge a jugé plus que durement Tariq Ramadan.

Alors que d’autres hommes politiques, sous le joug du même type d’accusation, sont en liberté — ce qui est normal, via la présomption d’innocence —, Tariq Ramadan a été placé en détention et à l’isolement total. Pendant les premiers 45 jours, il a été privé de visites familiales et d’appels téléphoniques, un droit dont jouissent même les criminels de droit commun.

D’autre part, Tariq Ramadan n’a pas eu l’autorisation jusqu’à aujourd’hui d’appeler tous ses enfants. Les juges ne lui donnent pas cette autorisation. En France, en 2018, quel traitement est-ce que celui-là ? La présomption d’innocence est là pour protéger le justiciable. En faire fi, c’est exposer à toutes les dérives la justice et l’Homme. Est-ce cela la loi telle qu’elle peut s’appliquer en France ?

L’histoire ne s’arrête pas là. Tariq Ramadan s’est vu refuser une demande de libération sous caution, alors que l’affaire était encore au stade de l’enquête préliminaire. Les magistrats ont rejeté la proposition de la défense consistant en la remise du passeport suisse de Tariq Ramadan, le placement en résidence surveillée avec un dispositif de surveillance électronique et un pointage quotidien à la police. Son courrier a été retenu et censuré sans motif valable. Les juges d’instruction lui ont refusé l’accès à son propre dossier judiciaire. Comment un homme peut-il se préparer à sa défense sans savoir contre ‘qui et quoi’ il se bat ? La justice peut-elle réellement cautionner ce type de procédé ?

J’accuse un système judiciaire délétère qui ne prend pas en compte la santé du justiciable

Tariq Ramadan est atteint d’une sclérose en plaques diagnostiquée depuis 2014, qui était sous contrôle grâce à un suivi médical régulier et rigoureux.

Lors de ses enseignements et cours à l’université d’Oxford, je l’ai vu de nombreuses fois avoir de profondes douleurs dans les jambes mais continuer à faire cours par souci éthique. Je l’ai vu avoir des tremblements et se lever pour faire passer la douleur. Nous l’avons vu, nous, chercheurs, étudiants, professeurs de l’université d’Oxford, vivre une maladie tout en respectant ses engagements professoraux. Or, depuis son incarcération, l’absence d’un traitement médical approprié a contribué à la progression rapide de la maladie. Même les procédures médicales, telles que le transport en ambulance, n’ont pas été respectées.

Neuf médecins ont confirmé le diagnostic de la sclérose en plaques, y compris le médecin en chef de la prison Dr. Farid Mehareb. Il a affirmé que l’état de santé de Tariq Ramadan était incompatible avec l’incarcération. Ces rapports ont été mis en doute sur fond de discrimination latente puisque l’avocat d’une des plaignantes, Me Morain, a ouvertement exprimé devant les magistrats qu’il s’agit de « ce docteur Farid », citant le prénom. Oblitérant le nom, insinuant le lien communautaire. Est-ce que de tels procédés ont leur place dans le droit français ?

Il ne s’agit pas des seules dérives.

Afin de décider du maintien en détention de Tariq Ramadan, le tribunal nomme un expert chargé de l’examiner. Lors de la première expertise, vingt minutes ont suffi à déclarer que la santé de ce dernier était compatible avec le maintien en détention. Une expertise si « précise » qu’elle lui donne dix kilos de plus que son poids réel. Cet examen médical a été contesté par l’équipe juridique de Tariq Ramadan et les juges d’instruction ont été contraints d’ordonner un second examen. Leur rapport, initialement attendu le 31 mars, doit maintenant être rendu le 15 avril. La nouvelle expertise a duré plus d’une heure, et un bilan plus poussé « aurait été fait ». Mais alors pourquoi cela n’a pas été le cas lors de la première expertise ? Et comment pouvons-nous avoir confiance en un système qui remet en question l’expertise de médecins qui connaissent le dossier de Tariq Ramadan depuis des années et attestent que la détention provisoire n’est pas compatible avec son état de santé ? De quoi est coupable Tariq Ramadan pour que l’on ne respecte ni son intégrité, ni sa santé, durant le temps de l’investigation. Y a-t-il des zones de non-droit en France ?

En attendant, Tariq Ramadan souffre d’importantes douleurs et éprouve de la difficulté à marcher. A plusieurs reprises, il a dû se rendre au parloir en fauteuil roulant. Le Consul suisse, qui a rendu visite à son concitoyen en prison, a été choqué par l’état de santé de ce dernier. En effet, il souffre d’intenses maux de tête, d’engourdissement des membres, de violentes crampes, de troubles du sommeil et de la mémoire. 

Ses symptômes s’aggravent chaque jour passé en détention. Ce traitement absolument dégradant se poursuit avec des risques de préjudices permanents. Il est clair que la détention provisoire aggrave la maladie dont souffre le Professeur Tariq Ramadan. La détention provisoire peut-elle se faire au détriment de la santé d’un homme ?

J’accuse certains médias d’avoir soufflé le vent de l’islamophobie

J’accuse les médias d’avoir manqué de neutralité. D’avoir soufflé le vent de l’islamophobie en faisant constamment référence à la croyance, à l’idéologie et à la filiation du Professeur Tariq Ramadan. D’avoir usé de caricature attaquant une religion, une communauté et créant stigmatisation et division communautaire.

Les fuites d’information, la distorsion et la manipulation de faits essentiels dans l’affaire ont eu un impact grave sur l’opinion publique. Créant trauma pour les uns et confortant les autres dans une représentation de « l’autre » comme dangereux. Le terme « islamiste » s’incrustant dans le débat sans qu’il n’ait rien à y faire. Pourquoi une campagne médiatique à charge ? Ignorance ? Manipulation des masses ? Le devoir de neutralité n’a pas été respecté.

Des enquêtes journalistiques à charge ont été faites au sujet du Professeur Tariq Ramadan. Proférant mensonges et diffamation sur sa personne mais aussi sur ses soutiens. Si l’on enquête sur lui, pourquoi ne pas avoir enquêté sur les plaignantes ?

En effet, la presse n’a pas parlé des faits que je vais énumérer et que vous pourrez vérifier par vous-même.

Les plaignantes n’ont avancé aucun élément de preuve pouvant étayer leurs accusations. Elles ont même fait des déclarations contradictoires aux enquêteurs et aux médias. Mme Ayari affirme qu’elle a cessé de contacter M. Ramadan en 2013. Or, les avocats de la défense ont découvert qu’elle lui avait envoyé près de 300 messages en 2014, soit quinze mois après le viol présumé. Elle a reconnu l’avoir contacté via Facebook dans le but de le séduire et le piéger.

La deuxième plaignante, « Christelle », a admis à la police avoir créé de faux comptes sous le nom de Tariq Ramadan afin de diffuser de fausses informations. De plus, même si cette dernière a nié avoir été directement en contact avec Mme Ayari, l’enquête technique montre que les deux femmes ont quatre numéros en commun dont celui de Fiammetta Venner, la compagne de Mme Fourest. Entre mai et novembre 2017, « Christelle » a appelé ce numéro 116 fois et Mme Ayari 156 fois. D’autre part, elle appartient à la mouvance d’extrême droite. En ce sens, comment pouvons-nous parler d’emprise sectaire ?

La troisième plaignante, « Marie », a non seulement essayé de piéger une personnalité publique de haut rang, mais aussi d’escroquer son assurance par la déclaration de faux vols. La sœur de « Marie » a contacté Tariq Ramadan en 2014 et l’a averti que sa sœur essayait de le piéger avec un paparazzi, comme elle avait tenté de le faire avec Dominique Strauss-Kahn contre de l’argent au magazine Closer.

La vérité laisse bien sûr des traces. Ces éléments sont dans les mains des avocats et des magistrats en charge de l’enquête. Le temps de la justice est long. La présomption d’innocence en est le garant humain et éthique.

Monsieur le Président, la Cour européenne des droits de l’Homme a été saisie par la défense de Tariq Ramadan. Le dossier est actuellement en cours d’instruction auprès de cette instance. Il est cependant triste de constater que, en France, nombreuses plaintes sont déposées devant la CEDH, reflet d’un système judiciaire qui ne protège pas mais expose. Ne prévient pas mais est dans la répression. Une justice qui parfois détruit plus qu’elle ne construit.  

Quand la France apprendra-t-elle de son Histoire ? Une société juste ne peut que se construire en veillant à ce que les institutions véhiculent nos valeurs de liberté, égalité et fraternité. La justice en est le pilier. Œuvrons ensemble à la construction d’une justice qui a les moyens de travailler en toute impartialité en dehors de tout relent idéologique antisémite ou islamophobe.

Soyons unis. Nous aurions tous pu être Dreyfus. Nous pourrions tous être Ramadan. Demain, qui sera cet « autre » que l’on vilipende ? « Au commencement était l’acte », a un jour dit Sigmund Freud. Positionnons-nous face à une justice à géométrie variable quelle qu’elle soit.

Pour finir, je reprendrais ici les paroles de Zola, illustrant notre réalité d’aujourd’hui : « Telle est donc la simple vérité, monsieur le Président, et elle est effroyable, elle restera pour votre présidence une souillure. Je me doute bien que vous n’avez aucun pouvoir en cette affaire, que vous êtes le prisonnier de la Constitution. Vous n’en avez pas moins un devoir d’homme, auquel vous songerez, et que vous remplirez. Ce n’est pas, d’ailleurs, que je désespère le moins du monde du triomphe. Je le répète avec une certitude plus véhémente : la vérité est en marche et rien ne l’arrêtera. C’est aujourd’hui seulement que l’affaire commence, puisque aujourd’hui seulement les positions sont nettes : d’une part, les coupables qui ne veulent pas que la lumière se fasse ; de l’autre, les justiciers qui donneront leur vie pour qu’elle soit faite. Quand on enferme la vérité sous terre, elle s’y amasse, elle y prend une force telle d’explosion que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle. On verra bien si l’on ne vient pas de préparer, pour plus tard, le plus retentissant des désastres. »

Nous serons mémoire.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de mon estime.

Fanny Bauer-Motti

* Fanny Bauer-Motti est docteur en psychologie clinique et psychopathologie, psychologue, psychanalyste.

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