Si les juges ont, pour refuser sa libération, pointé du doigt les mensonges de Tariq Ramadan concernant la nature de sa relation avec la deuxième plaignante, une question demeure — et c’est sans aucun doute la seule question dans ce volet de l’affaire : y a-t-il eu viol le 9 octobre 2009 à Lyon comme l’assure Paule-Emma A., depuis sa plainte huit ans après les faits supposés ? S’il y a bien eu relation, Tariq Ramadan ayant délibérément choisi de tenter de sauver son leadership moral au détriment de sa défense en tant que prévenu, la question du consentement se pose.
Des échanges SMS entre septembre et décembre 2009
Pour refuser à Tariq Ramadan sa dernière demande de mise en liberté, les juges se sont appuyés sur un document de 82 pages. Ce rapport d’expertise informatique des téléphones et ordinateurs de Tariq Ramadan, Henda Ayari et Paule-Emma A. montre notamment des échanges à caractère sexuel entre l’intellectuel et la seconde plaignante.
Des centaines de SMS — certains datés, d’autres non — permettent de découvrir des bribes de conversations entre Tariq Ramadan et Paule-Emma A. Mais l’absence de dates sur certains messages issus du téléphone de Paule-Emma A. — que la plaignante n’avait, dans un premier temps, pas remis aux enquêteurs — donne lieu à des échanges décousus. Ils prouvent cependant des mensonges aussi bien du côté de la défense que de celui de la partie civile.
Des SMS pour dessiner les contours de la rencontre
Ce qui interpelle, ce sont notamment les messages échangés à l’approche du 9 octobre 2009, date de l’agression sexuelle supposée selon la seconde plaignante. Ainsi, début septembre, Tariq Ramadan propose explicitement à Paule-Emma A. de la « gifler », lui « frapper les fesses » ou encore de la « forcer. » Deux rencontres sont alors prévues, le 9 et 10 octobre 2009 à Lyon. Le 20 septembre, Tariq Ramadan écrit à Paule-Emma A. qu’il sera son « maître » et lui décrit leur prochaine rencontre.
Trois jours avant la rencontre du 9 octobre 2009, Tariq Ramadan rappelle qu’il veut Paule-Emma A. « libre et offerte à (ses) ordres. » Le rendez-vous semble, selon les messages échangés ce jour-là, avoir lieu aux alentours de 16h30. Puis suivent des messages d’excuse : « Tu n’as pas aimé, je suis désolé », écrit Tariq Ramadan.
Lors de son audition, Paule-Emma A. répondait pourtant par la négative lorsque les juges lui demandaient si elle envisageait une relation sexuelle en se rendant à l’hôtel de Tariq Ramadan à Lyon ce jour-là. « J’étais tout à fait prête à avoir un rapport sexuel avec lui mais uniquement après notre mariage. Je n’ai jamais eu l’intention de coucher avec lui à l’hôtel », assurait ainsi aux enquêteurs la plaignante le 30 novembre 2017. Une version des faits mise à mal par le rapport d’expertise.
«Tu m’as manqué dès que j’ai passé la porte »
Le 13 octobre, quelques jours après les faits supposés, de premiers échanges ont lieu entre Paule-Emma A. et Denise W., une femme rencontrée sur un forum. La première écrit à la seconde avoir été « courtisée pendant trois mois » par Tariq Ramadan et être « tombée amoureuse. » Elle continue : « Il m’a mise dans son lit à l’hôtel et m’a forcée à faire des choses haram, puis il m’a larguée sous un prétexte minable et ne m’a plus jamais répondu. » Pourtant, les échanges avec l’islamologue auront duré jusqu’au mois de décembre suivant, là où la plaignante assurait le contraire.
D’autres messages, non datés ceux-là, semblent enfin postérieurs au 9 octobre 2009. Dans un SMS, Paule-Emma A., loin de la description du viol présumé, écrit : « Ta peau me manque… Tu m’as manqué dès que j’ai passé la porte… J’ai marché dans le parc à côté (le parc de la Tête d’Or, situé à quelques dizaines de mètres de l’ex-hôtel Hilton de Lyon si le SMS a été envoyé après le 9 octobre 2009, ndlr). » Dans un autre texto, elle assure n’avoir pas « passé un mauvais moment. » Sinon « je serais partie », conclut-elle. S’il manque la date des SMS, on conclut facilement que ceux-ci ont été écrits après la rencontre.
« Le défaut de consentement ne suffit pas à caractériser le viol »
Pour l’avocat de Tariq Ramadan, Me Emmanuel Marsigny, ces révélations prouvent certes une relation. Mais pas le viol. Il s’appuie notamment sur le message de la plaignante disant : « Tu m’as manqué », envoyé après les faits supposés. Pour la défense de l’islamologue, cela démontre qu’« il s’agissait d’une relation consentie, seul point qui intéresse du point de vue pénal. » Me Eric Morain, l’avocat de Paule-Emma A. entretient d’ailleurs la confusion à ce propos en affirmant qu’« on sait que cette relation sexuelle n’a pas été consentie par ma cliente… ou en tout cas pas complètement. »
Dans l’affaire Gérald Darmanin, fin août, les juges avaient indiqué, pour justifier le non-lieu, que « le défaut de consentement ne suffit pas à caractériser le viol. Encore faut-il que le mis en cause ait eu conscience d’imposer un acte sexuel par violence, menace, contrainte ou surprise. » Les relations entre Tariq Ramadan et certaines plaignantes désormais avérées, c’est aujourd’hui précisément sur cette question du consentement que les juges vont devoir trancher dans les semaines à venir.