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« Communautarisme ? » Une enquête sociologique déconstruit les préjugés

Communautarisme. Un terme « flou », « à connotation péjorative », essentiellement employé pour parler de l’Islam, des banlieues et de l’immigration. Un mot qui fait peur et utilisé à tout-va par les politiques et dans les médias. 

C’est à ce phénomène si polémique auquel se sont intéressés le sociologue Marwan Mohammed et le chercheur en science politique Julien Talpin, dans un ouvrage intitulé « Communautarisme ? », paru aux éditions PUF fin septembre.

Dans celui-ci, les auteurs et plusieurs contributeurs montrent que les plus communautaristes ne sont pas ceux que l’on croit. Ils répondent ainsi à quatre principaux préjugés sur le communautarisme. 

Le communautarisme concerne davantage les musulmans 

Le terme communautarisme est en effet très souvent associé à l’Islam et aux musulmans. Ou plutôt, les accusations de communautarisme. 

Gilles Kepel affirmait en 2015 que les attentats en France, commis par des terroristes se revendiquant de l’Islam, n’étaient que la conséquence du « laxisme » à l’égard du communautarisme qui gangrènerait les banlieues.

Récemment, une note des services de renseignement est également parue sur un alarmant « communautarisme musulman » à l’école. Fin septembre, dans l’émission Punchline sur CNews, alors que le débat portait sur le burkini, le sujet était illustré entre autres par un bandeau intitulé « l’impasse communautariste ? ».

Mais si l’on s’en tient à la définition du communautarisme, à savoir cette tendance à fréquenter des gens comme soi avec les mêmes goûts et les mêmes valeurs, alors en réalité ce phénomène touche tous les groupes sociaux, quels qu’ils soient. 

Toutes les communautés sont également concernée par l’homogamie, (le fait de rechercher un conjoint dans le groupe social auquel on appartient). « Les croyants musulmans ne sont pas plus homogames que les autres », est-il donc précisé dès l’introduction. 

De plus, dans les assemblées parlementaires, les références au communautarisme sont plutôt assez larges, comme le révèle une analyse du livre. Le terme est en effet étendu aux couples de même sexe, aux langues régionales, à la thématique du logement, de l’école ou du sport.

Seulement, ce prétendu « communautarisme musulman » est souvent présenté comme plus dangereux que les autres. Une focalisation révélatrice pour les auteurs, de « cette menace spécifique pour l’ordre républicain », qu’incarnent aujourd’hui les musulmans. 

Le sociologue Marwan Mohammed évoque même un « problème musulman » construit par les élites politiques et médiatiques, qui associent « l’échec de l’intégration sociale en France avec l’islam ».

La fracture sociale est moins importante dans les beaux quartiers

Qui oserait parler de Neuilly ou du Marais comme des quartiers communautaristes ? Les villes aux populations aisées échappent à cette attaque. Pourtant, on retrouve une même homogénéité sociale et religieuse dans ceux-ci qu’à Roubaix ou Brooklyn. 

Un chapitre entier du livre est d’ailleurs consacré au « communautarisme de classe », avec comme cas d’études les quartiers huppés de Paris, Delhi et Sao Paulo, où les habitants ont été interrogés sur leur représentation des pauvres. 

Les témoignages recueillis, parfois teintés de racisme, pointent souvent du doigt l’assistanat et le « manque de volonté » des pauvres de s’en sortir. Les personnes interrogées ne remettent jamais en question les effets néfastes du capitalisme. Et elles sont convaincues de savoir précisément ce que vivent les pauvres alors même qu’elles ne les fréquentent pas.

Les résultats de cette étude donnent donc à voir des classes supérieures coupées du reste de la société. Leurs discours font ressortir une préférence pour l’entre-soi et de la volonté de se protéger des interactions avec les classes populaires, qui sont stigmatisées et perçues comme des menaces à leur mode de vie.

« Si les quartiers les plus défavorisés de la République française témoignent de l’existence d’une fracture sociale, cela est sans doute encore plus vrai en ce qui concerne les quartiers les plus privilégiés », soulignent les auteurs de l’étude. 

De plus, des mesures quantitatives sur la ségrégation sociospatiale indiquent que ce sont dans ses beaux quartiers où l’on relève les taux de ségrégation les plus élevés. Il s’agit d’ailleurs plutôt d’une « auto-ségrégation », là où les habitants de banlieues populaires sont davantage victimes de « relégation ». 

Le communautarisme, ce sont avant tout des revendications identitaires

En août 2017, l’association Lallab qui vise à lutter contre les préjugés relatifs aux femmes musulmanes, était fustigée pour son « islamisme » et son « communautarisme ». Des  soupçons du même type qui touchent régulièrement d’autres organisations musulmanes, notamment celles qui luttent contre l’islamophobie. On y voit derrière elles un agenda politique caché, des liens avec des groupes islamistes, du prosélytisme, etc. 

Mais c’est surtout la visibilité de leur Islam qui cause problème. Ainsi porter une barbe longue, un foulard ou demander la construction d’une mosquée, apparaissent comme des « revendications identitaires » de la part des croyants. 

En réalité, la plupart des militants contre l’islamophobie demandent davantage une égalité de droits avec le reste de la population plutôt que l’octroi de droits spécifiques, ainsi qu’une reconnaissance d’égalité de statut plutôt que la reconnaissance d’une différence culturelle. 

Deux exemples du livre illustrent ce propos. Le mouvement « Mamans toutes égales » crée en 2012, n’était non pas « pro-voile » mais il s’élevait simplement contre l’exclusion des mères voilées accompagnatrices lors des sorties scolaires. De même, à l’été 2016, le Collectif contre l’islamophobie en France demandait la suspension des arrêtés anti-burkini portant atteinte à la liberté religieuse. Il n’a en aucun cas fait la promotion du burkini ni jamais revendiqué des plages privées pour les femmes musulmanes. 

Un réel repli communautaire touche les minorités et les quartiers populaires

18 % des immigrés et 11 % des descendants d’immigrés vivent dans les zones urbaines sensibles (ZUS), qui ne regroupent que 6 % de la population, selon les résultats de l’étude Trajectoires et origines. Ils habitent également souvent dans les quartiers avec le plus fort taux de chômage. 

Mais cette non-mixité sociale est moins due à une volonté de se regrouper entre soi qu’à des mécanismes de ségrégation bien connus comme les discriminations à l’emploi et au logement. 

Les résultats d’enquête contredisent la perception d’un repli communautaire dans ces agglomérations parfois appelées « ghettos ». A la question de savoir si les amis fréquentés dans les quinze derniers jours sont de la même origine qu’eux, 50 % des immigrés et 60 % des descendants d’immigrés répondent par la négative. La moitié de leurs amis sont donc d’une autre origine qu’eux. De plus, moins du quart des immigrés et 12 % des descendants sont actifs dans des associations locales communautaires ou religieuses, regroupant des membres de la même origine qu’eux.

Enfin, de manière générale, on constate en France une progression toujours importante de la mixité des couples, religieuse ou ethnique. Les enfant issus de ces unions, ont dans plus de 75 % des cas un partenaire de la population majoritaire. L’hypothèse d’un repli communautaire des minorités et d’un rejet de l’identité française au profit d’une identité ethnique n’est donc pas attestée. 

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