Lorsqu’il n’est pas occupé à dispenser des cours de maintien à des chômeurs ou à des ouvrières (1), Emmanuel Macron, drapé dans sa certitude que « la France a » dans le monde « une place, un rôle à jouer » et « une vision à proposer », ne dédaigne pas non plus de distribuer à de lointains potentats des leçons de démocratie, comme lorsqu’il tweete, par exemple, que « le peuple vénézuélien doit pouvoir décider librement de son avenir », ou, dans un registre assez voisin, que « les Vénézuéliens ont le droit de s’exprimer librement et démocratiquement ».
Ce sont là de belles et fortes déclarations, qui donneraient presque – presque – envie de battre des mains.
Problème : tout démontre, dans son exercice du pouvoir, qu’Emmanuel Macron, certaines fois, ne se soucie que très lointainement des droit des peuples.
Chez lui, à domicile : cela se voit, bien sûr, dans la sauvage répression qui s’est abattue depuis cinq mois sur les « gilets jaunes », et qui a fait déjà plusieurs centaines de blessé·e·s graves. Au loin : cela se vérifie dans le commerce qu’il maintient avec des chefs d’État dont le moins qui se puisse dire est qu’ils entretiennent avec la démocratie des rapports distendus.
Cette semaine, on le sait, il a ainsi reçu, en très grande pompe, le président de la République populaire de Chine, où, selon Amnesty international, « cette année encore, de nouvelles lois menaçant gravement les droits humains ont été rédigées et adoptées sous couvert de “sécurité nationale“ », où un « lauréat du prix Nobel de la paix est mort en détention », où « des défenseurs des droits humains ont été maintenus par la police dans des lieux de détention non officiels, parfois au secret, pendant de longues périodes, ce qui les exposait à un risque accru de subir des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements » et où « la répression exercée dans le cadre de campagnes de “lutte contre le séparatisme“ ou de “lutte contre le terrorisme“ est demeurée particulièrement sévère dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang et dans les zones à population tibétaine ».
Mais plutôt que d’ennuyer son hôte avec de perfides allusions à la liberté d’expression des Ouïghour·e·s ou au droit des Tibétain·e·s à décider librement de leur avenir, Emmanuel Macron lui a offert, à l’Élysée, un dîner de gala, préparé bien sûr par un chef étoilé, auquel avaient aussi été conviées quelques « vedettes françaises », comme l’acteur progressiste Alain Delon.
Pendant la torture, les affaires continuent
Il est vrai que la Chine venait de passer, sous les hourras de la presse et des médias, une « méga commande », d’un montant (2) de plus de 30 milliards de dollars, de 300 Airbus.
Et que pour Emmanuel Macron, le business l’emporte parfois sur les droits humains : c’est ce qui ressort par exemple d’un document dont la publication, récente, n’a très curieusement fait l’objet, en France, d’aucun commentaire.
Il s’agit du dernier rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, dont les auteurs constatent d’abord qu’en 2018, la France était toujours le troisième plus gros exportateur d’armes du monde, derrière les États-Unis et la Russie. Puis de préciser que les trois plus gros acheteurs de matériels militaires français sont d’abord – et « de très loin » – l’Égypte, puis ensuite l’Inde, puis enfin l’Arabie saoudite.
Or, toujours selon Amnesty international : « les autorités » égyptiennes ont, l’année dernière encore, « soumis des centaines de personnes à la torture, à d’autres mauvais traitements et à des disparitions forcées, et de nombreuses exécutions extrajudiciaires ont été commises en toute impunité. (…) Les journalistes et les personnes qui critiquaient le gouvernement, manifestaient pacifiquement ou défendaient les droits humains étaient couramment arrêtés et détenus arbitrairement avant d’être jugés lors de procès d’une iniquité flagrante. (…) Des procès collectifs inéquitables se sont déroulés devant des tribunaux civils et militaires, et de nombreuses personnes ont été condamnées à mort. Les femmes continuaient d’être victimes de discrimination dans la législation et dans la pratique, ainsi que de violences sexuelles et liées au genre. Des personnes ont été poursuivies au pénal pour diffamation de la religion et pour “pratique de la débauche“ en raison de leur orientation sexuelle présumée ou avérée. »
Dans le même temps, en Arabie saoudite : « Les autorités imposaient » toujours « des restrictions sévères à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Un grand nombre de défenseurs des droits humains et de détracteurs du gouvernement ont été placés en détention. Certains ont été condamnés à de longues peines d’emprisonnement à l’issue de procès inéquitables. Plusieurs militants chiites ont été exécutés, et de nombreux autres ont été condamnés à mort après avoir été jugés par le Tribunal pénal spécial dans le cadre d’une procédure d’une iniquité flagrante. La torture et les mauvais traitements en détention restaient monnaie courante. Des réformes limitées sont intervenues, mais les femmes étaient toujours en butte à une discrimination systémique, dans la législation et dans la pratique ; elles n’étaient pas suffisamment protégées contre les violences, sexuelles et autres. Les autorités ont eu recours très fréquemment à la peine de mort et ont procédé à des dizaines d’exécutions. La coalition dirigée par l’Arabie saoudite a commis cette année encore de graves violations du droit international au Yémen. »
Mais ces atrocités laissent Emmanuel Macron à peu près impavide : il sait pertinemment – cela lui est régulièrement rappelé par des organisations de défense des droits humains – que des armes françaises sont utilisées dans la répression des manifestations de l’opposition égyptienne. Mais jamais il n’a tweeté que les Égyptien·ne·s et les Saoudien·ne·s avaient, tout autant que les Vénézuélien·ne·s, « le droit de s’exprimer librement et démocratiquement ».
Il sait pertinemment – cela lui est régulièrement rappelé par des organisations de défense des droits humains – que des armes françaises sont utilisées dans l’écrasement du Yémen. Mais jamais il n’a tweeté que le peuple yéménite devait « pouvoir décider librement de son avenir ».
Tout au contraire : il a, depuis son élection à la présidence de la République, indéfectiblement défendu la vente d’armes françaises à l’Arabie saoudite et l’Égypte.
Le chef de l’État français, qui ne dit pas que des boniments, a donc bien « une vision à proposer » au monde : il s’agit même d’une morale, où l’exhibition d’une splendide vénération des droits humains ne doit surtout pas empêcher d’armer ceux qui les bafouent.
(1) Liste non exhaustive : on sait qu’il peut aussi réprimander telle septuagénaire qui prétendait user de son droit de manifester.
(2) Un peu supérieur donc à celui des baisses de cotisations qu’Emmanuel Macron avait concédées quelques mois plus tôt au patronat français.