« La Russie tente-t-elle d’effacer la culture musulmane de Crimée ? », s’interroge Al Jazeera dans un article daté du 18 février. En effet, les Tatars s’inquiètent actuellement du sort de la mosquée « Douma Djami », appelée aussi mosquée du Khan tatar, du nom de son fondateur.
Cette mosquée a été construite entre 1552 et 1564 à l’époque de l’empire Ottoman. Elle fait partie du Hansaray, ou palais du Khan, situé dans la ville de Bakhtchyssaraï en Crimée. De part sa taille, elle est la plus grande de Crimée. Elle est actuellement en cours de restauration ainsi que le palais, depuis que les Russes (qui ont annexé la péninsule de Crimée en 2014) ont entrepris des travaux en janvier dernier.
Seulement, des experts, les dirigeants communautaires et des responsables ukrainiens estiment que cette restauration n’est pas faite dans les règles de l’art, tendant plutôt à reconstruire un nouveau bâtiment plutôt qu’à conserver l’authenticité de cet édifice religieux historique.
De nombreuses personnes de la communauté tatare (environ 250 000 personnes en Crimée), y voit de la part du Kremlin, la volonté de remodeler, voire d’effacer l’héritage historique tatar avec ses travaux.
« C’est un plan pour la restauration du palais entier. Le palais sera perdu, ce qu’ils construisent est une imposture », a déclaré à Al Jazeera Edem Dudakov, ingénieur en construction et ancien responsable du gouvernement de pré-annexion en Crimée.
La chaîne de télévision tatare fermée, les cours obligatoires de langue tatare interdits…
Ce « remodelage » du palais et de la mosquée illustre la relation tendue entre les Russes et les Tatars de Crimée. Les Tatars de Crimée considèrent en effet le palais comme le symbole le plus significatif de leur statut d’État perdu.
Les Tatars sont aussi les premiers à s’être opposés à l’annexion de la Crimée (qui était République autonome d’Ukraine) par la Russie.
Depuis plusieurs années déjà, les pressions sur les Tatars sont donc nombreuses avec une volonté sous-jacente d’effacer leur mémoire et les médias contrôlés par les Russes alimentent des sentiments anti-tatars.
Selon Al Jazeera, Moscou aurait notamment introduit des manuels d’histoire qui décrivent les Tatars de Crimée comme des pilleurs de la Russie.
En novembre dernier, le Kremlin aurait également interdit les cours obligatoires de tatar. La chaîne de télévision tatare ATR, a été fermée. Leur assemblée, le Medjlis, qui défendait les droits des tatars et leur langue, a aussi été interdite pour « extrémisme » en 2015.
Mais les Tatars sont aussi l’objet de persécutions en Crimée depuis le printemps 2014, avec l’exil forcé des principaux leaders de cette minorité. Des centaines d’entre eux, pour la plupart des musulmans pratiquants, ont été arrêtés et interrogés, leurs maisons fouillées et leurs livres religieux confisqués, rappelle Al Jazeera.
« Durant les trois années d’occupation de la Crimée par la Russie, les autorités ont réduit au silence l’opposition sur la péninsule. Elles ont agressivement ciblé les personnes critiques en utilisant le harcèlement, l’intimidation et dans certains cas, de fausses inculpations d’extrémisme, dont celles pour « appel au séparatisme ». La plupart des poursuites judiciaires contre des activistes tatars de Crimée, leurs avocats ou d’autres personnes découlaient de leur critique pacifique de l’occupation », écrivait Human Rights Watch dans un rapport en juillet dernier.
De nombreux Tatars arrêtés pour du « terrorisme » présumé
Au cours des trois dernières années, la justice russe aurait poursuivi 66 personnes dont 36 Tatars pour des motifs politiques. Au moins 26 personnes auraient été condamnées à des peines pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison pour des accusations allant du «séparatisme» au «terrorisme» en passant par «l’organisation d’émeutes de masse».
«En 1944, nous étions une nation de« traîtres » (les Tatars ont été accusés de collaboration avec les nazis et ont été déportés en masse en Asie centrale, attendant la fin de l’URSS en 1991 pour avoir le droit de regagner la Crimée), nous sommes maintenant une nation de« terroristes », a confié à Al Jazeera un militant qui aide les prisonniers politiques et leurs familles.
La chaîne souligne aussi que les Tatars ne sont pas le seul groupe ciblé pour leur position anti-Kremlin. Des activistes pro-ukrainiens, anti-corruption et des Témoins de Jéhovah ont été arrêtés, expulsés, torturés, condamnés à des amendes et jusqu’à 20 ans de prison, selon des groupes de défense des droits humains.