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Esclavage en Libye : l’UE et la France ne pouvaient pas ne pas savoir

Il y a deux ans c’est la photo d’Alan Kurdi, un jeune garçon syrien d’origine kurde retrouvé mort sur une plage de Turquie, qui avait ému la communauté internationale. Encore une fois, il faudra les images de CNN diffusées il y a une semaine et montrant des humains réduits à l’état d’objets en Libye, pour faire réagir l’opinion publique et les pays européens. C’est un épisode de plus qui illustre la tragédie quotidienne des personnes sur le chemin de l’exil, se produisant au quotidien et en silence, en Libye et sur les côtes méditerranéennes. 

Plusieurs ONG alertent régulièrement sur le sort des exilés. Ce marché aux esclaves mis en lumière par la chaîne américaine, avait déjà été dénoncé par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). En effet, le 11 avril dernier, elle publiait un rapport sur ce phénomène avec des témoignages de jeunes Africains. 

« Au marché aux esclaves des migrants s’ajoutent une longue liste d’atrocités »

« Ces quelques derniers jours, plusieurs migrants m’ont raconté des histoires horribles. Ils ont tous confirmé le risque d’être vendu comme esclave sur des places ou dans des garages à Sabha, soit par leur chauffeur, soit par des locaux, qui recrutent les migrants pour des travaux journaliers en ville, souvent dans le bâtiment. Puis au lieu de les payer, ils vendent leurs victimes à de nouveaux acheteurs. Certains migrants, principalement nigérians, ghanéens et gambiens, sont forcés à travailler pour le ravisseur/marchand d’esclave en tant que garde dans les maisons de rançon ou même au « marché », déclarait un membre du personnel de l’OIM au Niger.

« Plus l’OIM est présente en Libye, plus nous nous rendons compte de souffrance de nombreux migrants. Certaines histoires sont vraiment effrayantes et les dernières informations de ‘marchés aux esclaves’ de migrants s’ajoutent à la longue liste d’atrocités », expliquait également Mohammed Abdiker, directeur des opérations d’urgence de l’OIM. En effet, comme le décrit l’organisation, les migrants qui tombent entre les mains des passeurs sont non seulement fait esclaves mais sont aussi confrontés à la malnutrition, aux abus sexuels, aux maladies et à la malnutrition, dans les centres où ils sont détenus.

Une lettre de MSF aux gouvernements européens en septembre dernier

Un document qui sera accompagné quelques temps plus tard par le témoignage du chef du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), Fillipo Grandi, en visite surprise à Tripoli le 21 mai 2017. Il y avait rencontré des migrants dans un camp de rétention, et s’était dit « choqué » de leurs conditions de vie « épouvantables ». 

En septembre 2017, la présidente de MSF International, Joanne Liu avait également alerté sur les conditions infernales des « centres officiels de détention » en Libye, où s’entassent les migrants interceptés par les gardes-côtes libyens. 

« Les gens y sont tout simplement traités comme des marchandises prêtes à être exploitées » , informait Joanne Liu. 

Mais Médecins sans Frontières avait également adressé une lettre aux gouvernements européens. Dans celle-ci l’organisation fustigeait leur politique migratoire, rendant possible et faisant perdurer les conditions épouvantables des migrants africains. « Guidé par l’unique ambition de maintenir ces gens hors de l’Europe, le financement européen cherche à empêcher les bateaux de quitter les eaux libyennes, mais dans le même temps cette politique alimente un système criminel.  Les gouvernements européens seront-ils prêts à assumer le prix du viol, de la torture et de l’esclavage ? Les dirigeants européens sont complices et nous voulons leurs réponses », écrivait-elle. 

La dénonciation d’une collaboration cynique de l’Union européenne

Une complicité que relève également Mireille Fanon-Mendes-France, présidente de la Fondation Frantz Fanon qui déclare au MuslimPost que « des Etats comme la France et l’Italie signent des accords avec les milices libyennes. Ils leur donnent de l’argent pour gérer ces flux migratoires mais surtout pour renvoyer les migrants et les repousser hors des frontières de l’Europe.. On met au ban Cuba et la Russie, mais pour des faits plus graves on laisse la Libye tranquille parce qu’elle sert de filtre migratoire. Pour moi, les pays européens sont responsables de ce qui ce passe actuellement en Libye », s’indigne Mireille Fanon-Mendes-France, qui vient de terminer son mandat à l’ONU en tant qu’experte du groupe de travail sur les Afro-descendants, après 6 années de travail au sein de ce groupe. 

Pour elle, cette situation à l’intérieur même du pays permettant les trafics, est entre autres le résultat de l’offensive française menée en 2011 par l’ex-président Nicolas Sarkozy. « C’était au peuple libyen de juger leur chef d’état pour ses crimes. Avec l’exécution de Khadafi, la France n’a pas respecté la charte des Nations Unis et a violé la souveraineté de ce pays. Quelques années plus tard, on voit bien que la Libye est devenu un état de non-droit sans aucune protection des populations », ajoute la militante. 

25 migrants en Libye seront accueillis en France prochainement

L’ONU a également réagi au drame se déroulant en Libye. Il y a quelques jours, le Haut Commissaire des Nations unies aux droits humains, Zeid Ra’ad Al-Hussein, a qualifié d’« inhumaine » la coopération de l’Union européenne (UE) avec ce pays. « La communauté internationale ne peut pas continuer à fermer les yeux sur les horreurs inimaginables endurées par les migrants en Libye, et prétendre que la situation ne peut être réglée qu’en améliorant les conditions de détention », a t-il prévenu. 

Face à ces critiques, la Commission européenne a donc annoncé que les pays de l’Union européenne (UE) promettaient environ 34 400 places pour accueillir des réfugiés directement depuis des pays d’Afrique et du Moyen-Orient, notamment la Libye. Quant à la France, elle a décidé d’accueillir 25 réfugiés de Libye, des Érythréens, Ethiopiens et Soudanais. A ceux-ci s’ajouteront 47 réfugiés vulnérables issus de camps du Niger, qui devront arriver début janvier en France. En tout, 3000 Africains devraient être accueillis d’ici 2019. 

« 25 personnes ? C’est ridicule et cynique. C’est un crime contre l’humanité qui se déroule sous nos yeux ! Si encore aujourd’hui on vend aux enchères de jeunes hommes, nous réalisons un retour en arrière de plus de quatre siècles qui ouvre la porte à tout les possibles, s’alarme Mireille Fanon-Mendes-France. C’est un plan Marshall qu’il faut mettre en place en Afrique pour que les ressources naturelles des pays cessent d’être pillées et pour permettre à tous ces jeunes de vivre et de travailler chez eux, sans avoir à prendre le risque de périr en mer ou de s’échouer sur les rives européennes. »

Les Français invités à « se lever contre l’esclavage »

Et elle n’est pas la seule à s’inquiéter du sort de ces jeunes africains réduits à l’état d’esclavage. Depuis plusieurs jours, des personnalités publiques exhortent les états européens et africains à réagir. A l’instar d’Alpha Blondy, le célèbre chanteur ivoirien, qui a publié une vidéo sur sa page Facebook. Dans celle-ci, il rappelle à l’ordre l’UA (l’Union Africaine) ainsi que la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Il demande aussi aux Africains d’assiéger toutes les ambassades libyennes dans leurs pays respectifs, « jusqu’à la libération totale de tous les captifs en territoire libyen ».

Plusieurs autres personnalités ont relayé les appels à une manifestation le 18 novembre, comme le comédien Omar Sy, le footballeur Didier Drogba ou l’ancienne Miss France Sonia Rolland. Samedi dernier, un millier de personnes étaient donc rassemblés devant l’ambassade de la Libye à Paris. Les manifestants avaient répondu à l’appel de plusieurs associations, mais aussi de Claudy Siar, vice-président du Conseil représentatif des Français d’outre-mer. L’homme avait publié une vidéo sur Twitter dans laquelle il invitait les Français à « se lever contre l’esclavage ».

« Il était temps que l’on se saisisse de cette question grave. Mais encore faudrait-il que tous les citoyens français manifestent. Or, dans les images du rassemblement du 18 novembre, il n’y avait que des Africains.  Les racisés une fois encore sont laissés seuls. Mais où sont les blancs ? », s’interroge Mireille Fanon-Mendes-France. 

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