Le halal en France existe depuis plus d’une trentaine d’années, date à laquelle les premières boucheries exclusivement halal ont fait leur apparition.
Depuis, de nombreux acteurs ont participé à l’essor du halal en France, qu’ils soient artisans, industriels ou pouvoirs publiques. Toutefois, tous n’ont pas respecté les règles du jeu et ont « cuisiné » le halal à leur sauce. Dans son dossier « De la viande halal à l’halal food » dans la Revue européenne des migrations internationales, la chercheuse Florence Bergeaud-Blackler, spécialiste du halal, revient sur l’histoire de l’abattage rituel en France.
L’essor du halal en France
Durant les Trente Glorieuses, période allant de 1945 à 1973, la France a connu une forte immigration maghrébine. Par la suite, en 1974, la France a mis fin à l’immigration de masse en instaurant une politique sur le sujet et en interdisant l’immigration professionnelle. C’est à partir de cette date que les maghrébins musulmans ont réclamé reconnaissance et dignité. Il s’agissait pour eux d’affirmer leur identité et leur culture. Ainsi, dans les années 1980, les musulmans de France ont réclamé la création de lieux de culte et se sont davantage investis dans leur communauté en créant par exemple des librairies islamiques ou des boucheries 100% halal.
Par la suite, plusieurs marques ont été lancées pour accaparer des parts de ce marché naissant. C’est par exemple le cas d’Isla Délice, créée en 1990, devenue avec le temps l’un des leaders de la charcuterie halal. Cette année marque, par ailleurs, le début de la commercialisation de la viande halal dans les supermarchés.
Lorsque l’Etat laïc se mêle du religieux
En 1994, c’est au tour de l’Etat d’entrer dans la danse. Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur, a souhaité légiférer la labellisation halal. Il octroie, par décret, le pouvoir de certifier halal à la Grande Mosquée de Paris qui crée le label SFCVH. Cette institution musulmane est alors la seule habilitée à certifier la viande selon ses propres normes.
En 1996, Jean-Louis Debré, nommé par Jacques Chirac au poste de ministre de l’Intérieur, modifie le décret. Il autorise les Grandes Mosquées de Lyon et d’Evry-Courcouronnes à labelliser la viande halal via leurs labels respectifs : ARGML et ACMIF.
Multiplication des certificateurs Halal
Toutefois, la labellisation n’étant pas l’apanage de ces trois mosquées, de nombreux organismes se sont constitués et proposent la labellisation de la viande. Trois contraintes principales différencient ces organismes : l’électronarcose, la présence de certificateurs sur le lieu d’abattage et la Viande séparée mécaniquement (VSM).
La SFCVH et l’ACMIF se rejoignent sur le plan de la certification : l’assommage par électronarcose ainsi que la VSM sont autorisés. Par ailleurs, ils autorisent l’abattage mécanisé de la volaille. Ces deux certificateurs n’imposent pas de contrôle sur place : la conformité est évaluée à partir d’un cahier des charges, élaboré par l’entreprise et l’agence de certification. On appelle ce type de certificateur une agence d’audits de conformité (AUC).
Le label dépendant de la Grande Mosquée de Lyon, l’ARGML, autorise l’étourdissement de la bête avant et/ou après abattage mais interdit l’abattage mécanisé de la volaille. Ce certificateur délivre des agréments pour l’habilitation des sacrificateurs. Un contrôle permanent est effectué sur place, ce qui place ce certificateur comme une agence de contrôle permanent (ACP).
Généralement, les certificateurs ACP interdisent l’usage de l’électronarcose et l’abattage mécanisé. C’est par exemple le cas d’Achahada, d’AVS ou de Halal Services. Quant au certificateur Arrissala, il n’impose pas de contrôleurs sur place mais interdit dans son cahier des charges l’assommage et l’abattage mécanisé des volailles.
A l’instar de la SFCVH et de l’ACMIF, il existe des agences d’audits de conformité qui autorisent l’électronarcose et l’abattage mécanisé de la volaille. C’est le cas pour AFCAI, CPH et Halal Réunion.
L’industrie agroalimentaire s’initie au halal
Attirés par le gain potentiel que représente l’industrie du halal, de nombreux industriels français se sont engouffrés dans la brèche. Plusieurs marques ont ainsi été créées comme Isla Délice, Reghalal, Halal World ou LDC.
Des acteurs de la grande distribution se sont aussi lancés dans le halal. C’est par exemple le cas de Casino qui a déréférencé plusieurs marques afin de soutenir sa propre marque, Wassila.
Les industriels historiques se sont aussi lancés dans la partie. Des acteurs français majeurs comme Doux, Tilly Sabco ou Fleury Michon ont lancé leur propre marque halal avec plus ou moins de succès. Le cas de Fleury Michon est symptomatique des abus recensés dans l’agroalimentaire halal. Après avoir lancé de la charcuterie halal, la marque a cessé de produire sa charcuterie. Il semblerait qu’elle ait subit le même sort qu’Herta : une contamination croisée des aliments par le porc. Cette fois, les associations de consommateurs n’ont pas eu le temps de tester des échantillons : la marque a supprimé la fabrication de charcuterie avant qu’éclate le scandale. Al-kanz.org relate avec brio cette affaire.
Les grandes enseignes de restauration ont également souhaité profiter du halal. C’est par exemple le cas de KFC et de Quick. Dans ce cas, les associations de consommateurs s’en sont pris à ces deux enseignes car elles étaient certifiées par les labels SFCVH et ACMIF. Ces deux labels autorisant l’électronarcose et ne contrôlant pas sur place la chaine d’abattage, les associations de consommateurs ont affirmé que les viandes certifiés par ces certificateurs n’étaient pas halal. Du coup, KFC a cessé de communiquer sur le halal : plus aucun poulet KFC n’est halal ! Quant à Quick, elle a changé de certificateur, passant à celui de la mosquée de Lyon, l’ARGML.
Des scandales à répétition éclaboussent l’histoire du halal en France
Depuis la diffusion à grande échelle de la viande halal, de nombreuses marques ont été épinglées par les associations de consommateurs comme Debat-Halal.fr et Al-Kanz.org.
Ces scandales à répétition ont généralement rapport avec la contamination croisée des aliments. Ainsi, la marque Herta en janvier 2011 s’est vue reprochée par Debat-Halal.fr, test en laboratoire à l’appui, de contenir des traces de porc. Cette affaire a été largement relayée par Al-Kanz.org. La sanction a été immédiate et des enseignes comme Casino ont retiré ces produits de la vente. L’affaire prenant une ampleur démesurée, Herta a même fini par suspendre la production de sa charcuterie halal quelques semaines plus tard.
Dans d’autres cas, c’est le caractère halal de la viande qui est directement mis en cause. C’est ainsi le cas de la marque Socopa appartenant au groupe Bigard. Ici, c’est le non-respect du cahier des charges halal qui est mis en cause. Là encore, le groupe Casino a sanctionné la marque en la déréférençant.
Au vu des enjeux financiers colossaux que représente le marché du halal en France, la question devrait être tranchée entre tous les acteurs du halal. A quand une solution pérenne qui fasse l’unanimité ?