En Tunisie, fumer du cannabis peut conduire en prison. La loi n°92-52 du 18 mai 1992 relative aux stupéfiants punit en effet d’un à cinq ans d’emprisonnement, ainsi que de 1 000 à 3 000 dinars (400 à 1 200 euros) d’amende. Une loi qui vise « tout consommateur ou détenteur à usage de consommation personnelle de plantes ou de matières stupéfiantes, hors les cas autorisés par la loi. » Même la simple « tentative est punissable. » Une loi jugée répressive, qui touche de nombreux jeunes Tunisiens : un tiers de la population carcérale serait composée de fumeurs de joints.
Une situation alarmante
Au début de l’année 2017, le ministre tunisien de la Justice, Ghazi Jribi, déclarait que près de 4 000 Tunisiens avaient été condamnés pour usage de stupéfiants, la moyenne d’âge étant d’environ 30 ans. Une situation grave, d’autant que, au sein des prisons, les consommateurs de drogues sont amenés à fréquenter les mêmes cellules que ceux qui ont commis des meurtres ou de potentiels djihadistes.Lotfi Zitoun, membre du parti islamiste tunisien Ennahdha, estime dans un texte publié sur le site web du magazine Leaders que cette jeunesse « n’a rien à faire derrière des barreaux aux côtés de criminels au long cours. » Il demande l’abrogation de la loi 52 et ce, de toute urgence. Conseiller politique du président du parti, Rached Ghanouchi, il rappelle aux dirigeants qu’il est de leur responsabilité « de dépénaliser purement et simplement la consommation de produits aujourd’hui illicites » et de se concentrer « sur d’autres sujets prioritaires comme l’éducation ou le travail. » A travers l’écriture et la publication de cette lettre, Lotfi Zitoun apparaît comme étant plus progressiste que les dirigeants actuels, qui se targuent pourtant d’être modernistes mais qui n’avaient, jusqu’à aujourd’hui, pas pris de position claire sur le sujet.
« Cette marginalisation de la société civile et ce refus de dialoguer sont dangereux », écrit encore Lotfi Zitoun, qui s’adresse directement et principalement aux députés et autres dirigeants politique du pays qui ont tous pour l’instant fait preuve de réticence quant à une quelconque dépénalisation de la consommation de cannabis. Il rappelle l’urgence d’agir pour sauver ces jeunes qui risquent de voir leur futur détruit. « Les chiffres liés à l’application de la loi 52 sont affolants, explique-t-il. Près d’un tiers de la population carcérale serait composée de jeunes Tunisiens ayant consommé des substances illicites. Parmi eux, de nombreux étudiants et élèves. Nos enfants. » Il ajoute que « la loi 52 brise des vies dans notre pays pour des erreurs de jeunesse relativement inoffensives et oblige les condamnés à vivre avec un casier judiciaire qui peut les mener au grand banditisme voire à être recrutés par des groupes terroristes. »
Des centres de désintoxication en vue
En écrivant cette tribune, l’islamiste bouscule les idées reçues. S’il s’agit pour le moment d’une prise de position personnelle, Ennahdha ne s’étant pas prononcé sur ce sujet, Lotfi Zitoun oblige les dirigeants actuels à s’exprimer sur la loi 52. « Si la ‘zatla’ (le cannabis, ndlr) est un mal, et elle l’est, elle n’est aussi que le symptôme d’une maladie qu’il faut guérir à la source : c’est en offrant à la jeunesse un avenir meilleur, loin des cellules des prisons, que celle-ci reprendra confiance en ses dirigeants », écrit Lotfi Zitoun, relevant le caractère addictif de la drogue qui doit alors être soigné et traité médicalement, et non pas puni par des peines de prison.
La ministre de la Santé, Samira Meraï, a annoncé plus tôt dans le mois, qu’une formation en toxicologie de 85 médecins à Tunis, 25 médecins à Sfax, et 25 médecins à Monastir avait déjà démarré dans le cadre du développement de centres régionaux de désintoxication à Zaghouan, Sfax et Monastir ainsi qu’à Ben Arous, Jendouba et Sidi Bouzid. Le ministère a aussi exprimé la nécessité de renforcer les soins et l’accompagnement nécessaires aux toxicomanes et le désir de mettre en place quatre centres de rééducation et de réinsertion, ainsi que de six centres d’écoute et d’orientation au profit des toxicomanes. Mais il appartient désormais aux députés tunisiens de décider d’un allègement de la loi 52. Or, ceux-ci ne semblent pas vraiment partis pour dépénaliser le cannabis et répondre ainsi à l’une des revendications d’une jeunesse tunisienne désœuvrée.