Editorialistes de droite, politiques et même Premier ministre dénoncent un « islamo-gauchisme » ambiant. Une expression qui a quinze ans et qui ne veut pas dire grand-chose… « Il faut enfreindre le politiquement correct et nommer l’ennemi, l’islam radical et l’islamo-gauchisme. » Voilà comment débute la chronique d’Ivan Rioufol dans Le Figaro. « Islamo-gauchisme », un néologisme utilisé à toutes les sauces… Auparavant utilisée par des journaux et politiques de droite, l’expression avait été reprise par Jean-Marie Le Guen, puis par Manuel Valls dans « Forum Radio J », avant qu’il ne se déplace en Israël. Parmi les « islamo-gauchistes » visés par le Premier ministre, les Indigènes de la République et Clémentine Autain. Pour Jean-Marie Le Guen, les « islamo-gauchistes » représenteraient une gauche prête « à céder totalement au différentialisme culturel. » Si l’expression est utilisée dans son livre sorti en avril, elle date de près de quinze ans…
Être pro-Palestinien fait-il de vous un « islamo-gauchiste » ?
En effet, l’historien des idées Pierre-André Taguieff, habitué à inventer de nouvelles expressions, avait dénoncé, dans son livre « Nouvelle Judéophobie », l’antisionisme de « la nouvelle configuration tiers-mondiste, néo-communiste et néo-gauchiste, plus connue sous la désignation médiatique de ‘mouvement antimondialisation’ », qu’il qualifiait alors de « mouvance islamo-gauchiste. » Est-il l’inventeur de cette expression ? Lui-même ne le sait pas… « Je ne peux pas dire avec certitude que l’expression est une invention personnelle, explique-t-il à Libé. A l’époque, on disait plutôt, ironiquement, ‘islamo-progressistes’, ou, dans les années 80, ‘palestino-progressistes’. » Taguieff faisait, en 2002, partie de la Fondation du 2-Mars, une organisation souverainiste et chevènementiste.
Mais qu’a voulu exprimer l’historien des idées en utilisant cette expression ? « J’ai essayé de montrer qu’un certain tiers-mondisme gauchiste se retrouvait côte à côte, dans les mobilisations pro-palestiniennes notamment, avec divers courants islamistes », poursuit Taguieff. Depuis, l’expression est largement relayée dans les médias, d’Atlantico au Figaro, en passant par Valeurs Actuelles, puis utilisée par Elisabeth Badinter ou dernièrement Manuel Valls donc. L’expression tend, selon la sociologue Sylvie Tissot à « disqualifier » un militantisme « hétéroclite où l’on retrouvait aussi bien des chrétiens de gauche que des personnes engagées dans la solidarité internationale. » Autrement dit, militer aux côtés d’associations musulmanes fait des militants de gauche des « islamo-gauchistes. »