Pour la première fois de l’histoire, une des agences des Nations Unies accuse Israël d’imposer aux Palestiniens un « régime d’apartheid. » Le rapport, d’une soixantaine de pages a été publié le 15 mars par la Commission économique et sociale pour l’Asie Occidentale des Nations Unies (CESAO), rapporte qu’« Israël a mis en place un régime d’apartheid qui institutionnalise de façon systématique l’oppression raciale et la domination du peuple palestinien dans sa totalité. » Rédigé par Virginia Tilley et Richard Falk, deux spécialistes du droit international, le rapport conclut que « les éléments disponibles établissent au-delà du doute raisonnable qu’Israël est coupable de politiques et de pratiques constitutives du crime d’apartheid. »
Washington scandalisé
Comme prévu, les réactions ne se sont pas faites attendre. Dans la foulée de la diffusion du rapport, Nikki Haley, représentante permanente des Etats-Unis auprès des Nations Unies, affirme que « les Etats-Unis sont scandalisés par le rapport. » Le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a immédiatement pris ses distances avec ce texte, expliquant qu’il n’a pas été consulté et que, en conséquence, il ne reflétait pas sa position. Côté israélien, Danny Danon, ambassadeur d’Israël auprès de l’ONU, a violemment critiqué le texte. « Les tentatives de discréditer la seule démocratie du Moyen-Orient sont honteuses et choquantes », a-t-il affirmé.
Censure aux Nations Unies ?
Il aura fallu moins de 48 heures pour que ce rapport soit retiré, après les vives réactions américaines et israéliennes. Rima Khalaf, Secrétaire générale adjointe des Nations Unies et Secrétaire exécutive de la CESAO qui a publié ce rapport, a aussitôt été interpellée par sa hiérarchie. Elle a indiqué que « le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres m’a demandé hier matin de retirer le rapport : je lui ai demandé de repenser sa décision mais il a insisté. Sur ce, je lui ai présenté ma démission de l’ONU ». Pourtant, le rapport a été établi sur la base d’une « enquête scientifique et de preuves accablantes ». Rapporté par Le Monde, le témoignage d’une source au sein de l’ESCWA, confie : « Nous sommes fiers d’elle. C’est ce qu’elle pouvait faire de mieux. Elle proteste contre un acte de censure qui va à l’encontre de tous les principes des Nations Unies ».
« Apartheid », un mot qui dérange
Si la raison officielle du retrait du rapport est un « problème de procédure », on ne peut s’empêcher de penser que le contenu lui-même dérange et notamment l’utilisation du terme « apartheid ». En effet, Israël n’a jamais toléré cette référence sud-africaine. Cette affaire met en lumière l’un des autres aspects du conflit, la bataille sémantique. Si le mot « apartheid » est jugé « dangereux » par Israël, c’est qu’il est connoté et donnerait une toute autre vision du conflit. La définition de l’apartheid est pourtant claire : c’est une politique de séparation, triant des populations sur des critères raciaux ou ethniques dans des zones géographiques déterminées. Beaucoup d’éléments de l’occupation israélienne constituent des formes de colonialisme et d’apartheid : colonies, système d’identification, routes séparées, postes de contrôle militaire, loi discriminatoire sur le mariage, barrière de séparation, enclavement de la Cisjordanie, inégalités face aux droits juridiques et aux infrastructures, ainsi qu’à l’accès à la terre et aux ressources dans les territoires occupés — la liste est encore longue… — et le tout, sur des critères raciaux ou ethniques. Le symbole de la lutte contre l’apartheid sud-africain, Nelson Mandela, disait très justement : « Notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens. »