mercredi 30 octobre 2024
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« La seule question qui ressurgit violemment une fois passée la peine face au décès d’un adolescent, c’est celle des raisons de l’inaction »

Dans une tribune, Rachid Benzine, politologue et écrivain, estime que la France n’a pas avancé sur les questions d’égalité et de lutte contre le racisme. Pire, elle a même régressé sur certains points.

Un drame récurrent : un jeune homme de 17 ans perd la vie suite à un refus d’obtempérer, tué par un représentant des forces de l’ordre. Une triste nouvelle qui nous plonge dans un sentiment de déjà-vu. L’enquête en cours et les décisions judiciaires à venir tenteront de dévoiler les circonstances précises de cette tragédie. Cependant, sur le fond, les aspects entourant ce drame ont déjà été maintes fois exposés et analysés : la nécessité impérieuse d’une réforme de la police et du contrôle de ses actions, de sa doctrine de maintien de l’ordre, ainsi que de son approche envers la jeunesse d’origine maghrébine. Les marches blanches sans conséquences, les discours victimaires de part et d’autre, les entrepreneurs identitaires qui enveniment les blessures, les politiques irresponsables qui cherchent la provocation au lieu de la dignité et du consensus, et surtout le fait que les premières victimes des émeutes sont les habitants des quartiers où les services publics sont détruits… Combien de fois cela a-t-il déjà été écrit et documenté ?

La seule vraie question qui ressurgit violemment une fois passée la peine face à la mort d’un adolescent, c’est celle des raisons de l’inaction. Pourquoi, 40 ans après la marche pour l’égalité, qui dénonçait ces « morts violentes » et leur traitement injuste par les parquets et tribunaux, le pays n’a-t-il pas avancé sur cette question ? Pourquoi a-t-il même régressé à certains égards ?

« Que peut-on espérer d’une telle police ? »

Qu’a-t-on bâti pour tenter de construire des relations équilibrées entre les populations pauvres des banlieues populaires et la police ? Quasiment rien. Il y a bien longtemps, en effet, qu’ont été abandonnées la politique de prévention de la délinquance prônée dans les années 1980 par Gilbert Bonnemaison, et la politique d’enseignement des Droits de l’homme dans les commissariats voulue par le ministre Pierre Joxe. En face d’une augmentation de la pauvreté et de la désespérance dans les quartiers populaires, on a essentiellement développé (surtout depuis 2005) des techniques de maintien de l’ordre calquées plus ou moins sur celles des États-Unis ou sur celles de la police israélienne. Des techniques parfois efficaces en ce qui concerne les gains d’ordre public, mais qui ont eu pour effet d’accroitre les tensions entre les forces de police et les populations concernées, de détruire toute communication vraie entre elles.

Il aurait sans doute été préférable de s’inspirer de la police allemande, qui accorde davantage d’importance à la communication avec les populations et bénéficie d’une formation bien plus poussée que la nôtre. Le débat incessant sur la police de proximité, démantelée par Nicolas Sarkozy, demeure non résolu. Pour ne rien arranger – et c’est un euphémisme ! – les idées d’extrême droite, qui gagnent du terrain depuis quarante ans dans l’opinion publique, sont devenues probablement majoritaires parmi les policiers (comme en témoignent les enquêtes sur les intentions de vote). Dans ces conditions, que peut-on espérer d’une telle police ?

La question cruciale des relations entre l’institution policière et les populations des quartiers, majoritairement issues de l’ancien empire colonial français, reste un impensé majeur. Tant que cette question ne sera pas abordée de manière radicale, nous ne pourrons pas espérer de changement positif significatif.

« Le malaise profond qui touche toute l’action publique locale n’est pas traité »

La France souffre de son héritage colonial. Dans les faits, l’égalité entre les citoyens est loin d’être une réalité, les populations issues de l’ancien empire étant encore largement stigmatisées et perçues comme « suspectes » (comme durant la période de la guerre d’Algérie).  Si nous ne sommes pas capables de mettre tout cela sur la table et d’en discuter ensemble, les choses ne feront qu’empirer.

L’institution judicaire, quant à elle, a beaucoup plus changé en quarante ans que l’institution policière. D’abord, elle s’est beaucoup féminisée. Ensuite, elle n’hésite plus à mettre en prison des personnalités politiques, des chefs d’entreprises, des artistes connus quand des délits et crimes peuvent leur être reprochés. A l’égard des banlieues populaires, cependant, elle reste frileuse, d’abord soucieuse de ne pas trop déplaire à ses partenaires policiers. Un exemple flagrant vient de nous en être donné avec une autre histoire de meurtre d’un jeune par un policier : le meurtre du jeune Guinéen de 19 ans, Alhoussein Camara, tué par un tir de policier en Charente le 14 juin dernier. Le policer a été mis en examen pour homicide volontaire ce 29 juin… mais laissé en liberté.

Bien sûr, des budgets ont aussi au fil des années été votés sur le logement, sur l’éducation, mais la question principale, celle de la cohésion nationale et de ce qui nous lie à nos institutions n’a pas été traitée.  Le malaise profond qui touche toute l’action publique locale n’est pas traité.

Beaucoup proposent aujourd’hui d’échanger « justice » contre « paix ». L’idée de ce troc est un aveu d’échec car il suppose que les émeutes seraient devenues la seule hypothèse pour que les institutions, judiciaires en l’occurrence, fassent enfin leur travail. C’est une erreur que de nombreux acteurs doivent dépasser. Le « défouloir » des destructions des dernières nuits n’a rien de légitime et ne peut pas produire de justice. La réponse est celle de la mobilisation, de l’organisation et de la représentation démocratique, afin de construire par la participation politique des institutions, la police comme la justice ou l’école, « non humiliantes ». Seules des institutions reconnues par les citoyens et qui reconnaissaient les citoyens peut permettre de reconstruire la légitimité du monopole de la violence dont est censé disposer l’État.

Des propositions ont déjà été faites à ce sujet. J’en ai fait moi-même dans le cadre d’un travail pour « une politique publique de la reconnaissance » afin que citoyens et institutions se reconnaissent mutuellement et se retrouvent dans des espaces intermédiaires sur le seuil des institutions.  Mais d’autres ont également avancé des idées et les bonnes volontés ne manquent pas. Mais y a-t-il une volonté politique de les mettre en œuvre ? Le Ministre de l’Intérieur si prompt dans le passé aux déclarations incendiaires appelle ces jours-ci au calme, mais quel est son bilan de premier flic de France ?

Il ne reste au fond qu’une seule question à poser pour que le choc provoqué par la mort de Nahel ne soit pas vain : la reconstruction de la cohésion de notre pays va-t-elle enfin devenir une priorité politique ?

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