Deux ans et demi après avoir porté plainte contre X devant le doyen des juges d’instruction, les fidèles de la mosquée de Clermont-Ferrand ne voient pas le bout du tunnel. Certains d’entre eux soupçonnent les dirigeants d’avoir détourné de l’argent de l’association qui gère la mosquée via un système opaque de Société civile immobilière (SCI). Retour sur une bataille judiciaire longue de plusieurs années.
Des virement de dizaines de milliers d’euros sur le compte d’une SCI
Mohamed Messoussa ne décolère pas. Comme de nombreux fidèles musulmans du coin, il a l’impression de s’être fait berner par les responsables de la mosquée, à Clermont-Ferrand. Retour quelques années en arrière. En 1990, les musulmans clermontois priaient alors dans une chapelle chrétienne mise à disposition par une congrégation de sœurs en 1977. Restés dans le lieu de culte chrétien pendant trente-trois ans, les musulmans de Clermont rêvaient d’avoir leur mosquée. Un rêve qui devient réalité en janvier 2010, lorsque la Grande mosquée de Clermont-Ferrand est inaugurée. Mais trois ans plus tard, Mohamed Messoussa, alors membre du conseil d’administration de l’association La Grande mosquée de Clermont et d’Auvergne, qui gère le lieu de culte, émet de sérieux doutes sur le chemin que prennent les dons des fidèles. La mosquée clermontoise a été construite avec ces dons, mais alors que le projet d’un bâtiment réservé à des activités culturelles est au point mort, Mohamed Messoussa fait part de son incompréhension.
Cet homme ne met pas seulement en cause un problème de transparence pour ce projet de bâtiment, il décide de questionner les dirigeants sur l’argent qui a servi à construire la mosquée. Les doutes de ce fidèle naissent dès 2003. Cette année-là, Mohamed Messoussa et deux associés créent une société de construction. Zahir Djermani est alors nommé gérant. Il s’agit du frère de Karim Djermani, le secrétaire général de la mosquée. L’idée est initialement louable : rémunérer la société en effectuant différents chantiers et réaliser celui de la future mosquée de Clermont gratuitement. Après six mois, Mohamed Messoussa est éjecté de la société après s’être étonné d’un « virement de 59 000 euros du compte la mosquée à celui de la société de construction », explique-t-il. Malgré tout, Mohamed Massoussa reste proche de l’imam, qui est aussi président de l’association gérant la mosquée. Ce dernier exhorte cependant son ami de « ne pas se mêler de ces affaires » sous peine de voir les fidèles ne plus faire de dons, ce qui compromettrait la construction de la mosquée.
1,2 million d’euros de dons pour… 200 000 euros de travaux
En 2007, d’autres musulmans clermontois s’étonnent devant l’arrêt du chantier de la mosquée. La société de construction, elle, est liquidée. Alors que les responsables de la future mosquée avaient récolté 1,2 million d’euros, Mohamed Messoussa remarque que les travaux effectués « ont dû coûter 200 000 euros au maximum. » Pendant quatre ans, avec ses amis, ils reprennent donc la construction à leurs frais, sollicitant des sociétés qui leur offrent leurs services gracieusement. « Personne n’osait parler », se souvient Mohamed. En 2012, le vice-président de l’association demande des comptes aux dirigeants. Sans succès. Pour prix de sa curiosité, il se voit même évincé de l’association, sous des prétextes fallacieux. Mohamed Messoussa est alors sollicité pour intégrer le Conseil d’administration. Ce dernier découvre alors que l’association n’a pas de réel trésorier et que Karim Djermani, son secrétaire général, gère seul les chéquiers. Parallèlement, plusieurs fidèles sont écartés après avoir dénoncé l’attitude autocratique de Karim Djermani.
Hocine Mahdjoub, l’imam-président, et Karim Djermani ont toujours réfuté s’être personnellement enrichi. Karim Djermani, très médiatique, fait bonne figure devant les caméras. Mais en privé — des enregistrements ont été diffusés —, les dirigeants ne décolèrent pas contre ceux qui mettent leur gestion de la mosquée en doute. Mohamed Messoussa décide d’écrire à tous les membres de l’administration pour pouvoir consulter les comptes. Au bout de trois courriers restés sans suite, Mohamed assure avoir été « menacé d’être exclu de l’association de la mosquée. » Mais l’homme est bien décidé à aller au bout : en septembre 2013, il saisit en référé le président du tribunal de grande instance de Clermont et demande qu’un expert judiciaire comptable soit nommé. Résultat : ce dernier découvre plusieurs « irrégularités », notamment concernant la disparition de reçus de dons des fidèles ou de quêtes, 2 000 euros environ étant récoltés chaque vendredi. Les virements bancaires sont également mis en cause : la SCI Kawthar, propriétaire de la mosquée, empoche chaque mois un loyer de 2 500 euros, alors que la mosquée a été construite avec les dons des fidèles. De plus, les mouvements de capitaux sont douteux. En tout, au moins 70 000 euros — peut-être même 140 000, estiment les plaignants — auraient disparu lors d’opérations bancaires entre la SCI et l’association qui gère la mosquée. Plus surprenant, il n’existe aucune décision d’affectation des recettes de l’association au profit de cette SCI, ni contrat de prêt. Ces transferts d’argent sont donc hors la loi. Comble de l’opacité, le secrétaire général de l’association, Karim Djermani, est aussi le gérant de la SCI Kawthar, ce qui lui permet d’effectuer des transferts entre les deux structures comme bon lui semble et sans le moindre contrôle…
Les fidèles empêchés de participer à l’assemblée générale par la police
Toutes ces irrégularités concernent les années 2010 à 2012. Pour ce qui est des années suivantes, les fidèles attendent toujours que les comptes soient publiés. Depuis trois ans, aucune assemblée générale n’a été organisée par l’association, alors que cette dernière devrait en faire une chaque année. Finalement, ce mardi, suite aux sorties médiatiques de Mohamed Messoussa, une assemblée générale a été convoquée. Mais à huis clos. Des dizaines de fidèles ont d’ailleurs été bloqués par des policiers tout comme l’avocat de Mohamed. Lors de cette assemblée, Karim Djermani propose sa démission. Refusée. Quant aux comptes de 2016, ils sont évoqués dans les grandes lignes, le comptable refusant de donner une copie des documents aux membres du conseil d’administration. Pire, celui-ci affirme qu’il n’y aura pas de bilan financier pour les années 2013, 2014 et 2015. Statu quo, donc. Ce sera désormais à la justice de trancher.