lundi 25 novembre 2024
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Des Ouïghours témoignent de leur passage dans les camps chinois

Leurs épouses ouïghoures avaient disparu il y a plus d’un an dans des camps chinois destinés à combattre la radicalisation islamique : elles ont été récemment libérées mais en sont revenues transformées, selon leurs maris pakistanais qui s’avouent désemparés.

Ces femmes musulmanes originaires de la région du Xinjiang, au nombre d’une quarantaine et mariées à des négociants du Pakistan voisin, étaient internées dans le cadre d’un vaste programme controversé de déradicalisation mené par Pékin.

Elles en ont été libérées ces derniers mois à condition qu’elles démontrent leur « capacité d’adaptation à la société chinoise », par exemple en mangeant du porc ou en buvant de l’alcool, ont raconté leurs maris à l’AFP.

Près d’un million de citoyens chinois, dont des Ouïghours et des membres d’autres ethnies musulmanes, sont ou ont été détenus dans des camps de rééducation de la région, selon des experts cités par l’ONU.

La Chine assure qu’il s’agit de « centres de formation professionnelle » destinés à renforcer l’employabilité des habitants et à les éloigner de toute radicalisation islamiste.

Les maris pakistanais de ces femmes, qui réclamaient depuis des mois leur libération, estiment qu’elles ont été visées en raison de leurs liens avec le Pakistan, une république islamique.

Alors que le programme d’internement chinois fait l’objet de vives critiques dans le monde, la « majorité » de leurs épouses ont à présent été libérées, indique Faiz Ullah Faraq, un porte-parole du gouvernement de la province pakistanaise du Gilgit-Baltistan, frontalière du Xinjiang.

« Il y avait environ 43 femmes (…) et on nous a dit que la plupart d’entre elles ont été libérées », confirme l’avocat Javed Hussain. Aucune explication officielle n’a été fournie.

Toutes sont mariées à des hommes d’affaires pakistanais qui retournent chaque année dans leur pays d’origine pour renouveler leur visa ou pour faire du négoce, tandis qu’elles restent au Xinjiang.

L’AFP a pu s’entretenir avec neuf de ces maris, qui ont tous affirmé que leurs épouses avaient été libérées sous conditions et demeureraient sous observation des autorités chinoises pendant trois mois.

Durant cette période, « elles observeront sa capacité d’adaptation à la société chinoise et si elles la considèrent comme inadaptée, elle sera renvoyée », a expliqué l’un d’eux à l’AFP sous couvert d’anonymat.

Ce mari a rendu visite à sa femme au Xinjiang après sa libération en mars. « Elle priait régulièrement mais maintenant c’est terminé, et elle a commencé à boire (de l’alcool) à l’occasion lorsqu’elle va au restaurant », relate-t-il.

Sa femme « est devenue une véritable étrangère », se plaint-il, ajoutant que lorsqu’il l’interroge sur son changement de comportement, « elle ne dit pas un mot ».

« Pas très au courant »

Un autre négociant spécialisé dans le commerce de pierres, qui a également récemment retrouvé sa femme au Xinjiang, dit avoir vécu une expérience similaire.

« Mon épouse, une musulmane pratiquante, a été transformée en quelqu’un que je n’aurais pas pu imaginer. Elle a cessé de prier, elle boit et mange du porc », raconte-t-il.

Sa femme lui a dit qu’elle « pense que ses parents, ou ses frères et sœurs l’espionnent peut-être et qu’elle n’a donc pas le choix », poursuit-il.

« Le pire, c’était son silence », souligne-t-il. « Elle soupçonne tout le monde, ses parents, sa famille, même moi ».

« Je crains que notre mariage ne dure pas car elle est devenue une toute autre personne, quelqu’un que je ne connais pas », souligne-t-il.

Les sept autres marchands interviewés par l’AFP, qui s’exprimaient tous sous couvert d’anonymat et qui n’ont eu que des contacts téléphoniques avec leurs épouses libérées, ont tous fait part d’expériences similaires.

Le ministère chinois des Affaires étrangères s’est refusé à tout commentaire. Un porte-parole de la diplomatie pakistanaise n’a pas répondu à une requête de l’AFP.

James Leibold, expert dans les questions de sécurité en Chine à l’université australienne de La Trobe, note que la politique de surveillance mise en place au Xinjiang donne aux autorités « une confiance accrue » en leur capacité à surveiller de près ceux qui quittent les camps.

Maya Wang, spécialiste de la Chine pour Human Rights Watch, note que son organisation a eu vent de personnes libérées des camps et se trouvant désormais sous résidence surveillée ou très restreintes dans leurs déplacements.

« Ces libérations pourraient indiquer que le gouvernement chinois se montre de plus en plus sensible à l’attention et aux pressions internationales croissantes au sujet de ses graves abus au Xinjiang », déclare-t-elle à l’AFP.

Une telle pression peut être d’autant plus délicate qu’elle provient de pays comme le Pakistan, que la Chine considère comme un proche allié face à Washington et à d’autres puissances. Le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo avait qualifié fin mars « d’hypocrisie honteuse » la politique de Pékin au Xinjiang.

Ces dernières années, Pékin a nettement renforcé ses relations avec Islamabad, investissant des dizaines de milliards de dollars dans de vastes projets d’infrastructures dans le cadre de ce qui a été baptisé le Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC).

La Chine « ne peut pas se permettre de voir les critiques internationales de sa politique au Xinjiang s’étendre dans le monde musulman, surtout au Pakistan », souligne M. Leibold.

De son côté, le Pakistan, qui met volontiers en avant sa relation proche avec son puissant voisin, se montre réticent à la critiquer à ce sujet en dépit des protestations des maris ou d’avocats comme Me Hussain.

« Pour parler franchement, je ne suis pas très au courant », bottait en touche en mars le Premier ministre pakistanais Imran Khan, interrogé à ce sujet par le Financial Times.

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