La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre : le royaume d’Arabie Saoudite vient, pour la première fois de son histoire, d’autoriser les femmes à avoir un permis de conduire. Le pays était déjà connu pour sa version de la religion musulmane réduite à un Code pénal et cette décision ne fait que sortir le pays de son isolement. Techniquement, la décision ne sera pas appliquée immédiatement. Elle devra passer par un « conseil de consultation » qui, sauf coup de théâtre, « validera » la décision. De leur côté, le mufti d’Arabie Saoudite et les « savants » fonctionnaires qui, depuis des décennies, ont justifié l’interdiction faite aux femmes de conduire car « pas assez intelligentes » ou parce que cela engendrerait « troubles et corruptions » devront justifier à l’opinion leur changement d’avis et pourquoi leur interprétation des textes a expiré avec cette décision du roi.
Pour Shakeel Siddiq, théologien et enseignant, « ces responsables religieux saoudiens n’ont aucun argument et exploitent les textes religieux pour justifier cette interdiction. Il est incroyable qu’au XXIe siècle, on en arrive à devoir justifier que l’Islam autorise les femmes à conduire. » L’enseignant ne manque pas de rappeler que ces avis ne sont là que pour « donner une caution religieuse à leur misogynie et la culture du pays. »
Welcome to the driver’s seat. #SaudiWomenMove #SaudiWomenCanDrive pic.twitter.com/oksRbFvLWa
— Ford Middle East (@FordMiddleEast) September 27, 2017
Mais ce « permis de conduire » est loin d’être motivé par un soudain souci d’égalité. La décision du roi Salman intervient alors que l’économie saoudienne, qui repose à 90 % sur la rente pétrolière, s’est encore rétractée de 0,5 % au premier trimestre et que les plans de diversification de cette dernière en vue d’un « après pétrole » tardent à être mis en place. Autre facteur non négligeable : la guerre au Yémen qui s’est transformée en bourbier pour les Saoudiens et en pactole pour la France, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Le chômage, lui, a augmenté d’un point pour atteindre 12,7 % et devait être réduit par une croissante « saoudisation » de l’économie. Là aussi, la réalité diffère des vœux exprimés.
Jusqu’à présent, les femmes devaient compter sur un chauffeur privé, mais cela n’était possible que pour les familles aisées… Celles qui ne le pouvaient pas devaient se rabattre sur l’utilisation du taxi où les applications de chauffeurs privés comme Uber, qui a déjà bénéficié d’une injection de cash saoudien à hauteur de 3,5 milliards de dollars. Pour les constructeurs automobiles, c’est un nouveau segment de marché qui s’ouvre et une nouvelle mine d’or. Ford, Volkswagen ou Nissan ont immédiatement surfé sur l’emballement des réseaux sociaux. D’autres acteurs économiques accueillent très favorablement l’accès de la moitié des 32 millions de Saoudiens à la conduite. Assureurs, équipementiers, centres de maintenance et centres de conduite profiteront grandement de l’arrivée de millions de femmes sur le marché.
Congratulations to all Saudi women who will now be able to drive. #SaudiWomenDrive pic.twitter.com/g3p8276rOr
— Nissan Middle East (@NissanME) September 26, 2017
Les grands perdants, ce sont les près de 800 000 chauffeurs privés actuellement en poste dans le royaume et qui perdront leur emploi. Les familles saoudiennes pourront se délester de cette charge financière et le pays n’est pas connu pour offrir un plan de reconversion aux travailleurs étrangers qui se retrouvent au chômage. Le virage entamé par le roi Salman ne manquera pas de susciter l’ire des tenants d’une ligne dure au sein du régime et d’alimenter les conflits entre les différentes factions au sein de la famille royale. Le nouveau round d’arrestations de prédicateurs tels Salman Al Aoudah — jugé trop dangereux car n’ayant pas manqué de critiquer certaines décision du régime — continuera de faire réagir les activistes des droits humains.
Hussam Ayloush, directeur exécutif du bureau de Los Angeles du Conseil pour les Relations Americano-Islamiques (CAIR), accueille cette décision « attendue depuis bien longtemps » et « félicite le peuple saoudien de cet accomplissement », mais il rappelle que « ce décret est une distraction voulant masquer les questions de la répression de la presse indépendante, de la liberté d’expression, des défenseurs de la justice sociale et des savants indépendants en Arabie saoudite, comme en témoignent les arrestations de ces dernières semaines. »