Après les propos tenus jeudi par un syndicaliste de police, jugeant convenable l’appellation « bamboula », l’ex-magistrat Philippe Bilger a relancé la polémique sur Twitter. Philippe Bilger, dont j’admirais encore il y a quelques jours la beauté de la plume, l’intelligence des propos, la pertinence des analyses, la profondeur de la réflexion, la justesse des mots… Philippe Bilger, un homme brillant qui incarnait avec grandeur et dignité une figure de proue de la justice française… Eh bien, ce même Philippe Bilger a posté, sur Twitter un message plutôt dérangeant, voire même choquant.
On a fait un drame de #Bamboula Me souviens de mes années de collège où ce terme était beaucoup plus sympa, presque affectueux que raciste!
— Philippe Bilger (@BilgerPhilippe) February 10, 2017
Par la suite, après s’être attiré les foudres de nombreux Twittos et fait couler l’encre de la twittosphere, Philippe Bilger a affirmé maintenir ses propos, certain que le dialogue viendrait finalement faire taire les interprétations hâtives de sa parole. Monsieur Bilger, loin de moi l’idée de vous condamner durement sans tenter de comprendre vos propos. Loin de moi l’envie de m’enflammer sans analyser les nuances de votre pensée… Seulement, après analyse, je dois vous avouer que je n’en perçois pas les aspects positifs et que vos dires me posent tout de même problème; et je vais ici vous exposer pourquoi.
« Votre esprit aurait dû s’élever assez depuis vos années de collège pour avoir pris conscience qu’on ne doit pas dire ‘Bamboula’. »
Vous, d’habitude si juste dans le choix de vos mots, ceux-ci me semblent pourtant bien maladroits ou, pire, ils me semblent graves, venant traduire une forme de racisme accepté par vous, toléré, dont vous ne réaliseriez pas la gravité car l’ayant admis socialement, culturellement, comme une norme issue de votre environnement, enfance, éducation et j’en passe… Ainsi, vos propos seraient comme une forme de complaisance face au racisme — pourtant intolérable et l’un de mes combats les plus véhéments — un aveuglement que je trouve indigne d’un esprit aussi brillant que le vôtre.
Car, si, en effet, je ne remets pas en cause votre bonne foi, et ne doute guère que, lorsque vous et certains de vos petits camarades, appeliez un jeune noir « Bamboula » durant vos années de collège, vous le faisiez dans un esprit sympathique et de franche camaraderie, sans en mesurer les conséquences et la gravité, répétant un terme entendu, il n’en est pas moins vrai que qualifier un noir de « Bamboula » vise à désigner la personne avant tout par sa couleur de peau, que l’on assimile à une culture particulière, africaine. De plus tous les citoyens ne sont pas des collégiens, vous n’en êtes plus un et votre esprit aurait dû s’élever assez depuis vos années de collège pour avoir pris conscience qu’on ne doit pas dire « Bamboula. »
« Vous vous illustrez par un mode de pensée post-coloniale »
Je rappelle aussi, que le mot « Bamboula » signifie avant tout « petit tambour africain », et par extension ensuite, seulement, le terme a été utilisé par les Occidentaux pour désigner « le Noir. » Ce terme témoigne donc à la fois d’une négation de l’individualité de la personne qui n’est réduite ,par ce qualificatif, qu’à sa simple origine, à sa culture (qui n’est peut-être même pas la sienne, il y a donc amalgame et généralisation)… Bref, sous prétexte que l’autre serait noir, il serait un « Bamboula », un peu comme tous les Noirs finalement… Voilà le message humiliant qui peut être perçu. De plus, le terme vise aussi à établir une distinction avec le reste du groupe et donc établit une hiérarchisation au sein de celui-ci, dans lequel le « Bamboula » serait un inférieur. Si chacun est appelé par son prénom, le Noir, lui, serait privé de son identité, de son vrai prénom, pour ne devenir que le seul noir, et par extension, l’autre, placé ainsi dans une position d’exclusion, comme si on lui rappelait qu’il était différent, et donc finalement stigmatisé.
Ensuite je rappelle qu’au sens premier, le terme « Bamboula » n’est autre qu’un objet et donc, d’une certaine façon, appeler « Bamboula » un individu relève d’une réification de la personne qui se trouve « chosifiée » vulgairement, déshumanisée. Ensuite, Monsieur Bilger, vous écrivez que le terme « Bamboula » était « plus sympathique que raciste, plus affectueux que raciste », vous ne niez pour autant pas qu’il soit aussi un terme à connotation raciste, malgré la sympathie affirmée. Vous vous confrontez finalement vous même à l’aporie de votre rhétorique, aux propres limites de votre pensée : on peut être sympathique et demeurer raciste, même si non exprimé méchamment, appeler « Bamboula » quelqu’un n’exclut pas, fondamentalement, le caractère raciste de l’expression donc. Et le racisme n’est pas tolérable !
Ainsi, ce que je trouve grave est donc, qu’à travers votre expression, vous adoptez une attitude paternaliste détestable, vous minimisez le racisme et vous vous illustrez par un mode de pensée post-coloniale et colonialiste de l’européenne conquérant. Dommage et inexcusable, je le crains.