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Projet de loi contre le terrorisme : des méthodes dignes de la Gestapo

Mise à jour le 28 septembre 2017 : citations de Sihem Zine retirées à sa demande.

La France n’était déjà pas un exemple de démocratie, d’État de droit ou d’application des droits humains. Elle l’était encore moins dans la lutte antiterroriste que ses différents gouvernements ont porté à bout de bras d’échec en échec. Mais aujourd’hui, avec le vote de cette énième batterie de mesures antiterroristes, la France renoue avec la logique du soupçon permanent et ciblé qui avait abouti, en son temps, aux lois scélérates de la IIIe République et les lois antisémites du régime de Vichy. Emmanuel Macron et Gérard Collomb devront aller au bout de leur démarche et assumer publiquement que les « droits de l’Homme » n’ont plus rien à voir avec la France. La notification envoyée le 24 novembre 2015 au Conseil de l’Europe pour prévenir que la France allait « déroger » à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) pour se prémunir contre les violations à venir, restera dans les annales. Aprés deux ans d’état d’urgence et l’échec avéré de la lutte antiterroriste, voilà que les mesures exceptionnelles de ce premier entrent dans le droit commun. Comme à son habitude, Emmanuel Macron ne pouvait s’empêcher de faire dans le « branding » et de maquiller la bête immonde pour la rendre acceptable. Le texte commence ainsi :

« Il est nécessaire, avant d’envisager une sortie de l’état d’urgence, de doter préalablement l’Etat de nouveaux moyens juridiques de droit commun permettant de mieux prévenir la menace terroriste hors période d’état d’urgence. »

« Les agents du renseignement pourront continuer de désigner les suspects « radicalisés » sur une base totalement arbitraire »

Malgré l’inefficacité avérée de l’état d’urgence, l’opposition du renseignement intérieur au tout répressif (voir le rapport de Yann Jounot, directeur de la protection et de la sécurité de l’Etat), malgré les avertissements du bâtonnier de Paris Frédéric Sicard qui déclarait que « la France peut basculer dans une dictature en moins d’une semaine » et bien que Macron lui même reconnaissait que « l’état d’urgence (…) ne permet pas de lutter de manière suffisamment efficace contre le terrorisme », la majorité parlementaire propose de rendre permanentes ces mesures inefficaces pour protéger nos vies mais qui entérinent la sortie de l’Etat de droit. L’insulte à l’intelligence du lecteur continue dans les lignes qui suivent. Les assignations à résidence, qui ont déjà ciblé des centaines d’innocents sur la base de soupçons ou la délation de leurs voisins, seront de simples « mesures individuelles de surveillance. » Les perquisitions administratives qui ont dépassé le nombre de 4 500 en 22 mois pour seulement 30 enquêtes liées au terrorisme, sont renommées « visite domiciliaires » et permettront les « saisies » sur les équipements électroniques.

Alors que LeMuslimPost couvrait le procès de Muhammad Rabbani, activiste britannique ayant refusé de donner ses codes d’accès à la police, voilà que les députés ont adopté une mesure obligeant les propriétaires d’équipements électroniques de remettre les codes d’accès avec la menace de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende aux contrevenants. Les notes blanches, qui ont littéralement pourri la vie de milliers de personnes, sont elles aussi pérennisées. Les agents du renseignement pourront continuer de désigner les suspects « radicalisés » sur une base totalement arbitraire et continuer de criminaliser ceux qui déplaisent en raison de leur tenue vestimentaires, leur engagement associatif, leurs opinions politiques ou religieuses ou ceux qu’il faudrait faire taire « par précautions. »

« En 1958, Maurice Papon recommandait déjà des mesures administratives d’assignation à résidence pour toute personne suspectée d’appartenir au FLN »

Pour les exilés, grands oubliés de notre humanité, la situation sera encore pire. En plus de la criminalisation de leurs soutiens comme Houssam El Assimi, leur harcèlement sera encore plus légal, avec les contrôles d’identité aux abords des gares et des frontières, pas même nos trottoirs ne leurs seront laissés pour qu’ils puissent dormir grâce à l’interdiction de rassemblement. Sans faire dans l’outrance, la guerre d’Algérie ne semble pas être finie pour Gérard Collomb et on aurait pu — naïvement — croire qu’Emmanuel Macron regarderait ailleurs que dans les poubelles de l’histoire pour mener sa lutte antiterroriste.

Dans une note du 24 Juillet 1958 titrée « Répression du terrorisme nord-africain », Maurice Papon, héros de la collaboration responsable de l’assassinat de 300 Algériens en 1961, recommandait déjà des mesures administratives d’assignation à résidence pour toute personne suspectée d’appartenir au FLN pour ne pas avoir à présenter de preuves devant les tribunaux. Perquisitions et assignations sont, depuis l’instauration de l’état d’urgence en 2015, sous le contrôle du juge administratif et non pas du juge judiciaire qui a été éjecté. La conséquence directe, c’est qu’un juge administratif agit à posteriori et, traditionnellement, il est beaucoup moins enclin à remettre en question la décision du corps auquel il appartient, c’est-à-dire l’administration. Quelles sont les personnes visées? « Toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics. »

Autre mesure digne d’un autre temps, les préfets pourront fermer des lieux de culte en raison d’« idées » ou de « théories jugées dangereuses. » Mais selon quels critères une idée est-elle jugée « dangereuse » ? L’humeur du préfet ? Au vu du passif de l’Etat d’urgence qui a majoritairement visé les musulmans, de la police gangrénée par les néonazis et les néo-fascistes, des contrôles au faciès qui touchent vingt fois plus les Noirs et les Arabes, les personnes assignées à résidence et qui ont perdu leur emploi suite à une dénonciation du voisin pour port de foulard ou de barbe, le gouvernement envoie un message plutôt clair. Gérard Collomb demandera-t-il  la fermeture d’une église dans laquelle officie un prêtre intégriste ou accusé de pédophilie ? Fermera-t-il une synagogue parce qu’une armée étrangère y est passée pour recruter des jeunes français et les envoyer commettre des crimes de guerre en Palestine occupée ? Et s’il y est fait référence au rabbin Shmuel Eliyahu qui justifie par la Torah viols de femmes et massacres de civils tant qu’ils ne sont pas juifs ? Gérard Collomb demandera-t-il la fermeture de sites internet néonazis qui appellent à la violence ? Interdira-t-il le rassemblement Jeanne d’Arc qui, tous les ans, dégénère en troubles à l’ordre public ? Verra-t-on une fiche S assignée à des personnages comme Henri De Lesquen, à un Ivan Rioufol pour son appel à la guerre civile ou à un blogger de la fachosphère ?

« Le fossé entre la masse des personnes de confession musulmane visées par l’Etat et les personnalités qui parlent en leur nom est énorme »

La réponse se trouve dans le silence dont a fait preuve le gouvernement lorsque, l’été dernier, un groupe identitaire avait lancé une campagne de financement en ligne pour affréter un bateau et empêcher le sauvetage d’exilés en haute mer. Ce n’était pas une collecte de dons clandestine mais bien une campagne en bonne et due forme avec identifiants bancaires et compte PayPal. Il y avait là de quoi les trainer devant les tribunaux, mais non, privilège blanc oblige, le gouvernement a regardé ailleurs. De son côté, l’opinion publique continue de soutenir ces mesures à hauteur de 57 % selon Odoxa. L’islamisation de lutte contre le terrorisme conjuguée à l’islamophobie ambiante expliquent pourquoi tant de personnes ne se sentent pas concernées par ce « despotisme doux », tant qu’il affecte ces populations suspectes. Ils étaient aussi beaucoup à s’être sentis en sécurité lorsque le maréchal Pétain leur promettait sécurité et stabilité. Le discours autour de l’Islam est la clé de compréhension de ce soutien aveugle. La crétinisation de l’opinion publique par les chaines d’info en continue et le nivellement par le bas du niveau intellectuel ne peuvent tout expliquer. 

Depuis des décennies, activistes et intellectuels — ou la combinaison des deux — issus des populations racisées dénoncent ce racisme d’Etat et la relation avec les minorités issue de l’ère coloniale, mais à chaque livre ou tribune publiés, la bonne conscience du régime en place a crié au scandale. Peut-être que cette dénonciation sera prise un peu plus au sérieux maintenant que c’est Patrick Weil qui compare le projet de loi antiterroriste au « code de l’indigénat. »  Le silence est encore plus assourdissant du côté des organisations du culte musulman, des mosquées, des imams, prédicateurs, associations cultuelles et fédérations musulmanes. Les fidèles sont livrés à eux-mêmes et, avec la photo d’un Anouar Kbibech qui se félicite de recevoir la légion « d’honneur » des mains Bernard Cazeneuve, le fossé entre la masse des personnes de confession musulmane visées par l’Etat et les personnalités qui parlent en leur nom ou disent les représenter est, lui, énorme.

L’Etat a ouvert un front à domicile contre les personnes de confession musulmane ou supposées telles avec une violence et une privation de droits qui ne sont plus à démontrer, mais les instances telles le CFCM, la FNMF, l’UOIF ou la grande Mosquée de Paris sont plus préoccupées par le contrôle des fidèles via le contrôle de leurs mosquées, que de se tenir à leurs côtés en temps de crise. Les fidèles sont livrés à eux-mêmes et sont condamnés à vivre leur religion la boule au ventre. A moins qu’ils ne se décident à reprendre en main ce qu’ils ont financé. Pour m’être entretenu avec certains d’entre eux, le pari fait par les responsables de mosquées était que, en faisant profil bas, les choses avaient des chances de s’arranger. Les musulmans ne sont plus en sécurité. Quand un Etat est capable de passer des lois d’exclusion de l’école et du travail et de s’engager dans un régime de punition collective comme nous le voyons, le futur ne s’annonce pas radieux pour cette minorité et ce ne sont pas les organisations en place qui voleront à leur secours après avoir refusé de les soutenir pendant plusieurs décennies.

« Cette lutte contre le terrorisme n’est rien d’autre qu’une lutte pour un Etat policier sur le dos des populations racisées »

La désertion citoyenne et la lâcheté n’est pas réservée aux représentants du culte musulman. Elles s’appliquent aussi aux représentants des autres cultes, bien plus enclins à parler de dialogue interreligieux autour d’un couscous que d’appliquer la fraternité qu’ils vendent à l’opinion publique. Il en va de même pour les élus et membres de La République En Marche partis faire campagne dans les mosquées et les quartiers populaires. Les grosses organisations telles Human Rights Watch ou Amnesty International ont fait un travail de dénonciation via des rapports très critiques sur les mesures adoptés, mais les deux s’alimentent du travail effectué par des organisations de terrain, mais ces dernières manquent cruellement de moyens. Une étude du renseignement britannique Mi5 a d’ailleurs conclu que les personnes embrigadées par les groupes terroristes étaient « loin d’être des religieux zélé… mais des novices » et que « plus une identité religieuse était fermement établie, plus ils étaient capable de se protéger contre la radicalisation violente. » 

Cette lutte contre le terrorisme n’est rien d’autre qu’une lutte pour un Etat policier sur le dos des populations racisées. Ni Macron, ni Collomb, ni Hollande, ni Valls, ni Cazeneuve ne veulent ou ne voulaient la faire aboutir. Elle n’est qu’une aubaine pour appliquer un agenda sécuritaire qui attendait son heure. Car si l’Etat cherchait véritablement à résoudre le problème, il commencerait d’abord par se demander pourquoi la France est visée. Mais cette question est culpabilisante et désagréable car elle aboutit à la politique étrangère désastreuse et la remise en cause d’une cinquième République bâtie avec l’héritage colonial. Je doute qu’en bombardant des civils à l’étranger, on puisse récolter des fleurs à la maison.

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