A l’heure où Emmanuel Macron a annoncé son intention de « poser les jalons de toute l’organisation de l’Islam de France », les différentes instances musulmanes sont sorties de leur silence. Pour Ahmet Ogras, président du CFCM, « chacun doit rester dans son rôle. Aujourd’hui le culte musulman est une religion, donc elle gère elle-même sa maison. » Le patron de l’instance musulmane estime qu’« il ne faut surtout pas de tutelle de la part de l’Etat, juste un rôle de facilitateur. » Sauf que depuis un quart de siècle, l’Etat n’a cessé de vouloir façonner le culte musulman à son image. Dans la revue Esprit, Lucile Schmid et Akram Belkaïd rappellent que, depuis plusieurs années, « les autorités françaises ont déployé des efforts, parfois de manière autoritaire, pour obliger les instances religieuses musulmanes à s’organiser. » Au point de vouloir créer un Islam « de » France et réduire les influences extérieures. Sauf que, depuis 1994, toutes les tentatives des gouvernements successifs d’organiser cet « Islam de France » ont donné lieu à des fiascos.
1994 : Charles Pasqua consacre l’Algérie comme principal interlocuteur
Lorsqu’il s’intéresse à l’Islam de ses bureaux du ministère de l’Intérieur au début des années 1990, Charles Pasqua décide de consacrer la Grande mosquée de Paris comme son interlocuteur exclusif. Via cette décision, c’est avec l’Algérie que Charles Pasqua décide de discuter. Moyennant financements, Pasqua charge Dalil Boubakeur de structurer et organiser les associations locales et les mosquées au sein d’une grande fédération. En 1994, Charles Pasqua décide de légiférer sur la labellisation halal. Le ministre octroie, par décret, le pouvoir de certifier halal à la Grande mosquée de Paris. Celle-ci crée le label SFCVH. Alors que cette institution musulmane est la seule habilitée à certifier la viande selon ses propres normes, d’autres mosquées montrent leur agacement.
Devant la pression de deux d’entre elles, deux ans plus tard, le successeur de Charles Pasqua, Jean-Louis Debré, modifie le décret. Désormais, les Grandes mosquées de Lyon et d’Evry-Courcouronnes sont elles aussi habilitées à labelliser la viande halal via leurs labels respectifs, ARGML et ACMIF. Plus de vingt ans plus tard, force est de constater l’échec de ce décret : si les mosquées ont l’aval de l’Etat pour gérer le halal, il n’est pas interdit à d’autres associations et entreprises de labellisée la viande issue de l’abattage rituel.
Pire, le marché du halal est au point mort, la France accusant un gros retard sur les pays étrangers. Les différentes institutions, elles, tentent de se mettre d’accord sur un cahier des charges commun. Sans succès, l’initiative de charte du halal du CFCM n’a jamais rien donné. Aujourd’hui, l’institut Montaigne envisage une taxe sur le halal. Une proposition à laquelle réfléchit également le Conseil français du culte musulman. Mais sur un marché aussi opaque et éparpillé que l’abattage rituel, le chantier de la taxe halal s’annonce là aussi compliqué. Voire impossible.
2003 : Le CFCM, la représentativité au mètre carré
En 2003, Nicolas Sarkozy n’est pas encore président de la République. Alors ministre de l’Intérieur, il décide de créer une organisation qui serait un interlocuteur unique entre la communauté musulmane et l’Etat. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) naît alors. Mais l’institution souffre de grosses faiblesses : les différentes fédérations qui composent le conseil ne cessent de se chamailler — l’UOIF a notamment décidé de boycotter le vote des représentants en 2011 — et la présidence tournante entre Algériens, Marocains et Turcs montre l’influence des pays étrangers au CFCM.
Mais quinze ans après la création du CFCM, c’est surtout le manque de représentativité de l’institution qui est pointé du doigt. Tout d’abord, la gouvernance pose un gros souci d’équité : le nombre de membres du conseil d’administration du CFCM est en effet déterminé en fonction de la surface des lieux de culte. Résultat : les fidèles se sentent éloignés d’un CFCM qui tente de faire plaisir autant à sa base qu’au ministère de l’Intérieur. Aujourd’hui, selon une étude de l’institut Montaigne, seuls 28 % des musulmans connaissant le CFCM déclarent se sentir « représentés par cette structure. » Un échec.
2005 : Une première fondation de l’Islam mort-née
En 2005, deux ans après la création du CFCM, l’Etat se demande comment financer cette dernière institution. Aidé par Serge Dassault, qui met la main à la poche pour sortir 2 millions d’euros, le Premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin, décide par décret la constitution de la Fondation des œuvres pour l’islam de France. Celle-ci a pour mission, explique alors Villepin, « la construction et la gestion des lieux de culte, en accord avec les maires des communes concernées. » Une sorte d’instance de dialogue entre le CFCM, l’Etat et les collectivités locales.
Mais devant la réticence et la mésentente des pays d’origine de certaines grandes fédérations musulmanes — Maroc, Algérie et Turquie notamment —, la FOIF est rapidement prise de paralysie aiguë. La présidence, offerte à Dalil Boubakeur, n’arrange rien. Le recteur de la Grande mosquée de Paris fait en effet de la figuration et, cinq ans après la naissance de la fondation, le Sénat dénonce l’immobilisme de cette institution par la voix de… Jean-Pierre Chevènement. La question financière est notamment évoquée : la grande partie des fonds mis par Dassault n’ont pas été utilisés et dorment pendant plusieurs années dans les coffres de la Caisse des dépôts et consignations. En 2016, Manuel Valls pointe l’« échec total » de la FOIF.
2016 : Une Fondation de l’Islam de France qui fonctionne au diesel
L’échec de la FOIF ne refroidit pas les ardeurs de l’Etat. Suite aux différents attentats, Bernard Cazeneuve décide de lancer des sessions de dialogue avec les représentants de l’Islam en France. Après plusieurs mois de discussions, le ministère de l’intérieur décide de lancer une nouvelle fondation. A sa tête, Jean-Pierre Chevènement aura pour objectif de poser les jalons du financement du culte musulman via une association d’utilité publique d’Etat. Sauf que cela contrevient à la loi de 1905, comme le précise officieusement le Conseil d’Etat à Bernard Cazeneuve. La Fondation de l’Islam de France sera donc une association culturelle.
Dotée d’un budget conséquent — plusieurs millions d’euros —, la Fondation de l’Islam de France signe un partenariat avec les Scouts musulmans de France dans le but d’« initier les jeunes aux valeurs républicaines. » Puis… plus rien. Certes, Jean-Pierre Chevènement a suggéré l’ouverture d’une faculté de théologie musulmane à Strasbourg ou prévoit de mettre en place un « campus numérique. » Mais on est bien loin de la réalité du terrain. Un an et demi après sa création, la Fondation de l’Islam de France déçoit déjà, à tel point qu’Emmanuel Macron prévoit un nouveau chantier. Plusieurs options s’offrent à lui : le président de la République pourrait mettre fin aux actions du CFCM ou laisser la Fondation de l’Islam de France agir en roue libre, tout en planchant sur d’autres idées, qu’il devrait dévoiler dans les prochains mois.