La Pologne est l’un des pays européens qui a le plus peur des musulmans. Ses habitants estiment, en majorité, que l’Islam est une religion qui n’a pas sa place dans la société polonaise. En septembre dernier, une nuit interreligieuse était organisée dans plusieurs villes du pays pour montrer la réalité qui se cache derrière les fantasmes. Au centre islamique de Varsovie, aussi mosquée, une cinquantaine de curieux étaient venus découvrir l’Islam et les musulmans de la capitale polonaise. Reportage.
« A l’étranger, on nous voit seulement comme un pays catholique »
La porte de la mosquée est grande ouverte. Elle fait partie des deux lieux de culte musulmans de Varsovie, à accueillir ce soir-là tous les Polonais qui le souhaitent. Une initiative dans le cadre de la 3e édition de la nuit interreligieuse à Varsovie, où églises, synagogues et temples sont accessibles à tous le temps d’une soirée, avec des visites guidées et des conférences.
Au centre islamique, à une vingtaine de minutes du cœur historique, un bénévole est posté devant l’entrée d’un chapiteau dressé pour l’occasion. Il demande à chacun d’enlever ses chaussures, comme c’est la coutume de le faire avant d’entrer dans une salle de prière musulmane. A l’intérieur une jeune femme, chargée de l’organisation de l’évènement à la mosquée, distribue le programme.
« Nous voulions mettre en avant les racines multicuturelles de la Pologne de par son passé et montrer les différentes populations religieuses qui cohabitent ici, alors même qu’à l’étranger, on nous voit seulement comme un pays catholique », explique Ula Wierzbicka.
Seuls 3% des Polonais connaissent un musulman
Un an auparavant, l’étudiante en économie était également chargée du bon déroulement de la nuit interreligieuse dans une église catholique, de façon bénévole. Athée, elle affectionne tout particulièrement cet événement qui, cette année, se déroule aussi à Cracovie et à Poznan.
Une idée et un projet qui ont vu le jour grâce à « No Hate Speech ». Cette organisation de jeunes issue du Conseil de l’Europe, multiplie les campagnes contre les discours de haine, à travers divers événements sur le continent.
« J’aimerais que les gens qui viennent ici puisse avoir au moins quelques réponses aux questions qu’ils se posent sur l’islam, où sur ce qu’ils ont lu notamment sur internet. Peut-être que leur voisin est musulman et qu’ils l’ignorent », souligne t-elle.
En effet, seuls 3 % des Polonais connaissent un musulman. Et alors qu’ils ne représentent que 0,1 % de la population totale, la société polonaise les estime à 7 %. Des chiffres révélateurs d’une crainte de l’Islam et d’une méconnaissance de cette religion, que rapporte Maria Babinska. Membre du Centre de recherche sur les préjugés de la faculté de psychologie de Varsovie, elle a mené une étude en mai 2017 sur ce sujet. Sur plus de 1 000 personnes interrogées, 60 % étaient d’accord avec l’affirmation suivante : « l’Islam est une religion archaïque qui n’a pas de place dans notre société. »
Une montée de l’islamophobie depuis la crise migratoire de 2015
Pourtant ce soir là, une cinquantaine de personnes arrivent petit à petit à la mosquée, dont deux collègues de travail. Joanna, 26 ans, a des amis musulmans et ne les « imagine pas une seule seconde dangereux. » Mais pour Barbara, catholique pratiquante, c’est la première fois qu’elle entre dans une mosquée à Varsovie et elle avoue que ses sentiments oscillent entre curiosité et peur des musulmans. Elle a dans la tête, comme d’autres Polonais, les images des attentats en Europe. Elle redoute qu’ils ne surviennent dans son pays.
Un amalgame largement alimenté par le gouvernement polonais et les médias, depuis l’afflux de de réfugiés et les attentats en 2015. « Il y a trois mois, sur la télé publique, une catholique syrienne était invitée. Elle disait qu’il faudrait expulser tous les musulmans de l’Europe », rapporte Maria Babinska.
« Jaroslaw Kaczynski, président du parti conservateur Droit et justice a dit en 2015, en pleine crise migratoire, que les réfugiés apportent des maladies », ajoute t-elle. Des propos xénophobes dont certains journaux en Pologne se font aussi les relais, par leurs unes présentant les réfugiés comme des envahisseurs ou comme de potentiels musulmans terroristes.
« Quand quelqu’un s’en prend à la mosquée, je l’invite à discuter à l’intérieur »
« Les musulmans n’ont pas de médias dans lesquels s’exprimer. Le message envoyé est que cette religion est mauvaise », commente Izar Charif, le président et imam de la mosquée. « Mais dans le même temps, je le constate régulièrement ici, le nombre de musulmans augmente », relève t-il. Environ 3 000 personnes se seraient converties depuis les années 90 selon ses chiffres, dont des conversions régulières ces dernières années au Centre islamique.
En juillet 2015, son établissement a été profané, avec le dépôt d’une tête de cochon devant la porte. Mais il préfère relativiser et ne pas s’attarder sur le sujet. « Quand quelqu’un s’en prend à la mosquée, je l’invite tout simplement à l’intérieur pour dissiper tout malentendu et répondre aux questions », assure t-il.
Ce soir-là, il a également tout prévu pour répondre au mieux aux interrogations des visiteurs dans sa mosquée. Une jeune femme décrit les lieux, devant des dizaines d’auditeurs de tout âge. Puis le programme continue avec l’histoire de l’architecture des mosquées dans le monde et se termine par un temps d’échange sur l’islam avec l’imam.
« J’ai vécu en Irak, je sais ce que c’est que le terrorisme »
Lubna Al-Hamdani, 31 ans, est l’une des bénévoles intervenantes. Polonaise et Irakienne, elle est très investie dans l’interreligieux. Mère de famille, musulmane et féministe, il est important pour elle de combattre les idées reçues et de venir s’adresser au public. « J’ai vécu en Irak pendant la guerre, alors je m’identifie aux victimes. Je sais ce que c’est que des attaques terroristes. Je sais combien c’est effrayant », dit-elle avec émotion.
Chirurgienne à l’hôpital, elle estime que c’est à travers son travail qu’elle peut montrer son sérieux et son bon comportement envers ses patients. « C’est plus efficace que de dire que je ne suis pas une terroriste, quand on m’agresse à cause de mon voile ».
Des attaques régulières contre des musulmans ou des personnes vues comme telles
Les agressions verbales ou physiques envers les musulmans sont difficiles à quantifier. Mais le rapport européen sur l’islamophobie en 2016, rapporte de nombreux incidents sur l’année. Entre autres, un pianiste chilien sévèrement battu en février dans un train vers Varsovie, alors que les agresseurs avaient crus qu’il était Arabe, donc musulman selon eux. Mais aussi l’agression d’une jeune femme algérienne de 25 ans portant le hijab, poussée hors du tram où elle se trouvait.
Malgré cela, Lubna essaye de rester positive. L’année dernière, dans une autre mosquée, l’évènement avait accueilli près de 1 000 personnes, plutôt réceptives aux discours. « Quand ils viennent et qu’ils voient notre accueil, même s’ils n’aiment pas notre religion, ils restent respectueux », explique t-elle. En effet, en plus des Coran en polonais et autres fascicules sur l’islam mis à disposition, des pâtisseries et du thé attendent aussi les visiteurs ce soir-là.
Izar Charif, lui, essaye d’entretenir de bonnes relations avec les non-musulmans tout au long de l’année, en restant disponible pour informer. Et il invite les fidèles à faire de même. « Le rôle du musulman polonais est à la fois de conserver sa religion et de respecter l’autre. Et cela devrait être suffisant pour que nous vivions en paix », conclut l’imam, toujours diplomate.