vendredi 22 novembre 2024
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Mennel Ibtissem : « Notre silence ne nous sauvera pas »

Je n’aime pas la télévision et encore moins la télé-réalité et ses dérivés que sont les télé-crochets. Je n’oublie pas que certaines chaines n’ont pour objectif que de vendre du « temps de cerveau humain disponible » à quelques multinationales plus puissantes que nombre de pays sur terre.

C’est principalement pour cette raison que je n’ai pas regardé la prestation de Mennel Ibtissem, jeune femme voilée, dans l’émission populaire « The Voice ». En revanche, je n’ai pas pu échapper à la guerre et au lynchage auxquels beaucoup de comptes se sont adonnés. 

Au-delà de la prestation artistique que je me passerai de commenter, j’ai remarqué que très vite, voire simultanément à son apparition dans les lucarnes des foyers français, Mennel Ibtissem, anonyme il y a encore quelques jours, a fait les frais de guerres idéologiques et politiques qui se lisent sur les réseaux sociaux devenus les agoras d’un pugilat plus que d’un débat public.

« On aurait pu laisser les adeptes de ces émissions télévisuelles se détendre devant quelques prestations de cette Française parmi d’autres candidats »

Résumons. D’un côté, les tenants du Grand Remplacement qui, quoi que vous fassiez et disiez, à partir du moment où vous n’avez pas le faciès du Gaulois, vous ne pouvez pas faire partie de la tribu d’Obélix et de Vercingétorix. Rien à faire. Vous n’êtes pas la France et vous êtes un agent du complot qui consiste à remplacer les autochtones par des hordes de Najat, Mehdi, Rokhaya. Le propos pourrait faire rire. Malheureusement, il mérite d’être très sérieusement compris et combattu tant la thèse du Grand Remplacement pensée par Renaud Camus fait des adeptes partout, à droite comme à gauche. L’alliance droite et extrême-droite au pouvoir en Autriche ne dit rien d’autre que l’avancée progressive de ces thèses dans les cercles de pouvoir. Rien de bien réjouissant. 

De l’autre coté de l’arène, les tenants d’une laïcité aux frontières toujours plus élargies. Non contents de l’interdiction de signes religieux au sein des écoles et aux agents du service public, certains comptes Twitter se sont empressés de fustiger, que dis-je, de vouer aux gémonies Mennel Ibtissem devenue le cheval de Troie de l’islamisme politique avec son voile étendard de la « soumission » et signe ostentatoire de l’« oppression » des femmes. « Tariq Ramadan en femme », pouvait-on lire. 

Je vous fais l’économie des réactions des muftis 2.0 qui, à coups de fatwas numériques, insultaient et dégradaient l’intégrité physique de cette femme sous prétexte qu’elle chantait et osait porter le voile.

Je vous fais l’économie des réactions de ceux qui voient des antisémites en acte et en puissance partout parce que cette jeune femme a choisi de reprendre une chanson de Leonard Cohen.  Je cherche encore le lien entre les deux. Je suis partie pour de longues heures de recherches tant c’est sybillique, je dois avouer.

On aurait pu s’arrêter là. On aurait pu laisser les adeptes de ces émissions télévisuelles se détendre devant quelques prestations de cette Française parmi d’autres candidats. 

C’était sans compter sur le phénomène de fond, le processus d’invisibilisation, d’éviction, de disqualification systématique à l’oeuvre à chaque apparition, émergence ou consécration d’une personnalité à l’identité jugée suspecte.

« Il est fort à parier que parmi les candidats de ‘The Voice’, la jeune Franc-Comtoise a subi ce traitement différencié »

Selon la couleur de votre peau, selon votre nom, selon votre appartenance religieuse, ou votre origine, vous serez jugée suspect et chacun de vos mots, tweets, photos, amitiés, accointances seront scrutés minutieusement afin de vérifier votre culpabilité. Parce qu’il faut bien comprendre vous êtes déjà coupables. Nous le sommes tous en puissance. Il est fort à parier que parmi les candidats de « The Voice », la jeune Franc-Comtoise a subi ce traitement différencié. 

Coupables de penser qu’il existe un racisme structurel et un racisme d’Etat, volontaire ou involontaire, qui considère les jeunes de banlieues comme potentiellement coupables donc contrôlables à souhait.

Coupables de penser que la réduction des libertés publiques est d’abord et avant tout une surveillance de communautés jugées suspectes.

Nouveaux antisémites en puissance parce que musulmans. 

Antisémites actes parce que critiques contre la politique de l’Etat d’Israël.

Coupables parce que critiques, bruyants et rétifs à taire nos pensées.

Que reproche-t-on réellement à cette jeune fille ? Ces tweets vieux de deux ans ? Aussi stupides que partagés par un trop grand nombre de nos concitoyens ? D’avoir partagé des publications de Tariq Ramadan il y a deux ans ? 

Que l’on m’explique ce déchainement à l’égard d’une jeune femme qui a reconnu ses erreurs, s’est excusée publiquement.

« Quel terrible message vient-on d’envoyer à Mennel et à toutes celles qui viennent ? »

Comment expliquer notre extrême indulgence à l’égard d’autres artistes qui auraient pu évoquer les mêmes propos quand on est aussi intransigeant face au sort de cette jeune fille devenue en moins de quelques jours l’ennemie publique numéro 1 ?

Pour toutes les Mennel à venir, nous avons un devoir de vérité. Un devoir d’élever nos voix parce que notre silence ne nous sauvera pas. 

En moins d’une semaine, cette jeune femme est devenue le symbole de l’hystérie qui s’empare de la France à chaque fois qu’un membre suspect de sa communauté nationale émerge. Une nouvelle fois, l’hystérie s’est emparée de nous et nous a empêché de voir les aspirations, rêves et aussi les erreurs d’une jeune Française. Une Française comme les autres.

Quel terrible message vient-on d’envoyer à Mennel et à toutes celles qui viennent ?

* Samia Hathroubi est activiste des droits humains, ancienne enseignante d’histoire-géographie en Seine-Saint-Denis, militante associative depuis de nombreuses années.

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