C’est une idée qui prend peu à peu forme, qui s’insinue dans les débats publics après avoir été un détail d’experts, une évolution qui remet en cause l’équilibre des nations : l’Arabie Saoudite se dirige peu à peu vers l’effondrement économique et politique, au fur et à mesure de la fonte de ses réserves financières et des revers de sa politique réformiste. Quels facteurs ont fait se précipiter le géant pétrolier, la monarchie la plus stable du monde arabe, dans une situation aussi vulnérable ? Le premier élément de réponse est bien sûr à chercher dans sa situation économique. L’Arabie Saoudite est le premier exportateur de pétrole mondial avec plus de 10 millions de barils par jour produits en 2016 . La santé financière du pays dépend entièrement de cette ressource. Or, celle-ci est en crise depuis deux ans et demi. Dans l’espoir de ralentir la progression diplomatique de l’Iran et de ses proxys au Moyen-Orient, le royaume saoudien s’est lancé dans une politique agressive de baisse des prix en inondant le marché mondial de son pétrole.
Vers plus d’isolement et d’instabilité régionale
Un baril à prix bas signifie bien sûr moins de ressources pour l’économie saoudienne, mais à un point tel que, désormais, la remontée des prix semble impossible à imposer. En juillet 2017, l’OPEP a ainsi une nouvelle fois échoué à s’accorder sur un ralentissement de la production. La raison ? Les crises politiques et sécuritaires au Nigéria et en Libye, qui génèrent un phénomène de rattrapage de la production de ces deux pays, rendant impossible une maîtrise des prix à l’échelle globale, alors que les Américains sont par ailleurs ultra-compétitifs. Une véritable balle dans le pied pour l’Arabie Saoudite, ayant des conséquences directes sur sa stabilité économique intérieure. En effet, dans un contexte de crise de la ressource pétrolière, comment financer un modèle économique et social où les subventions issues de la rente sont vitales ?
Car l’Arabie Saoudite a par ailleurs un véritable problème de leadership. Les orientations politiques et diplomatiques décidées au plus haut niveau de l’Etat mettent en danger l’équilibre intérieur du royaume et son économie à moyen terme. Deux ans après l’accession du monarque Salman au trône, la dynastie Al-Saoud repose dorénavant en grande partie sur les épaules du prince héritier et fils du Roi : Mohammed ben Salman. Or, ce leadership saoudien témoigne depuis 2015 d’un manque de clairvoyance, et ce d’abord dans l’engagement militaire au Yémen, dont le coût a plombé les réserves monétaires du pays — certains estiment que la facture mensuelle de cette guerre s’élève à 700 millions de dollars —, et où une sortie de crise deux ans après le début du conflit semble impossible. Un échec à ajouter à ceux de la politique étrangère saoudienne en Syrie, dans la lutte contre le terrorisme, et dans la rivalité avec l’Iran dans la région : l’Arabie Saoudite sous la houlette de cette génération de leaders se dirige ainsi vers toujours plus d’isolement (même du côté des puissances occidentales) et d’instabilité régionale.
La contestation gronde à l’intérieur du royaume
Enfin, le royaume wahhabite ne peut plus compter sur un soutien fort de sa population, du fait des réformes économiques entreprises à toute hâte au vu de l’urgence de la situation financière du pays. Le même Mohammed ben Salman s’est ainsi détourné de cette guerre yéménite devenue un bourbier, au profit du projet « Vision 2030 », dont le but est de construire une économie ouverte, moderne, et diversifiée. Les deux objectifs principaux – la privatisation des géants de l’industrie pétrolière comme Aramco et la rationalisation des dépenses de l’Etat (et notamment du luxueux train de vie de la famille royale) – sont périlleux : l’eau, l’énergie, le pétrole, certaines denrées alimentaires, les frais de visa pour les travailleurs étrangers, voient leurs coûts augmenter et la population saoudienne est bousculée par une cure d’austérité sans précédent, déclenchant une sourde contestation. Même le Fonds monétaire international (FMI) a mis en garde l’Arabie Saoudite contre un traitement de choc trop brutal.
Mais avec un déficit à hauteur de 79 milliards de dollars en 2016 , les solutions économiques et la transformation du pays en profondeur sont engagées en marche forcée. Or, une gestion rationalisée des ressources de l’Etat à court et moyen termes ne peut être efficace que si combinée à une politique raisonnable et le désir de stabilité à l’intérieur comme à l’extérieur du royaume saoudien. Au risque de voir son rayonnement global s’éteindre définitivement.
Sources : Chiffres officiels OPEP, URL : http://www.opec.org/opec_web/en/about_us/169.htm ; Nicholas Borroz and Brendan Meighan, “Saudi Arabia’s Failed Oil War”, Foreign Affairs, URL: https://www.foreignaffairs.com/articles/saudi-arabia/2017-03-13/saudi-arabias-failed-oil-war; The Irish Times, “OPEC supply cuts appear to have failed ahead of meeting”, 21 Juillet 2017, URL : https://www.irishtimes.com/business/energy-and-resources/opec-supply-cuts-appear-to-have-failed-ahead-of-meeting-1.3162438; Le Monde, « Arabie saoudite : le roi Salman propulse son fils au rang d’héritier », 21 juin 2017, URL : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2017/06/21/arabie-saoudite-le-roi-salman-propulse-son-fils-au-rang-d-heritier_5148391_3218.html#wSQIjj0T3LmHjmxS.99.