samedi 23 novembre 2024
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Bouteflika tombé, la Grande mosquée d’Alger toujours inachevée

De sa voiture, Kader regarde l’impressionnant édifice que longe l’autoroute embouteillée: « C’est vrai que c’est beau. Mais pour moi, elle ne veut rien dire cette mosquée, c’est juste un tas de cailloux ».

Djamaâ El-Djazaïr,  la « Mosquée d’Alger », majestueuse bâtisse de pierre blanche, s’étend sur 20 hectares, face à la baie d’Alger que surplombe son minaret de 265 m, présenté comme le plus haut du monde.

Dans la capitale, la silhouette du « monument » est visible à des dizaines de kilomètres à la ronde. Mais il a peu de défenseurs parmi les Algérois.

« Mégalomanie », « immense gâchis », estiment la plupart d’entre eux. Jugé déjà « faramineux », le coût initial du chantier (1,2 milliard d’euros) est largement dépassé. Lancée en 2012, la construction, confiée à une société chinoise qui achève encore les finitions, a plus de trois ans de retard.

« Il y a des mosquées tous les 500 mètres dans ce pays, on n’avait pas besoin de ça! » s’exaspère Zhora, 68 ans. L’Algérie compte un peu plus de 20.000 mosquées, selon le ministère des Affaires religieuses.

A une centaine de mètres derrière le somptueux bâtiment, pointe une petite mosquée de quartier, immaculée. Assis sur un bout de trottoir, un riverain septuagénaire raconte avoir vu pousser l’impressionnante coupole jour après jour depuis sa fenêtre.

« C’est vrai, c’est un chef d’oeuvre mais (…) des hôpitaux, ça, on en a besoin », dit-il en vieux sage.

Plus vaste pays d’Afrique, dont une grande partie désertique, l’Algérie, forte de 40 millions d’habitants, fait en termes de lits par habitants, mieux que le Maroc mais moins bien que la Tunisie, selon l’OMS.

Surtout, en 2015, l’Agence nationale chargée des établissements de santé soulignait que les Centres hospitaliers universitaires (CHU) étaient hérités de l’époque coloniale et avaient « pour la plupart un siècle d’âge ».

Les syndicats des personnels de santé dénoncent eux régulièrement le manque d’effectifs et d’équipements dans les hôpitaux publics.

« J’ai rien contre cette mosquée, mais ces milliards auraient pu servir à améliorer un système de santé qui en a vraiment besoin », explique Imène, une jeune médecin de 26 ans.

Sur les réseaux sociaux, des pétitions ont été lancées pour transformer la Grande mosquée en « plus grand hôpital d’Algérie ». Des dessins et des photomontages illustrant ce souhait circulent sur internet.

« En Algérie, on est profondément musulman et on ne l’oublie pas », rappelle de son côté Farida archéologue de 60 ans, « mais tout cet argent aurait aussi pu servir à refaire la Casbah (vieille ville) d’Alger, notre patrimoine qu’on laisse tomber en lambeaux ».

Pouvant accueillir jusqu’à 120.000 fidèles, Djamaâ El-Djazaïr sera la troisième plus grande mosquée du monde, après celles de La Mecque et Médine, les deux lieux saints de l’islam, en Arabie Saoudite. Outre une salle de prière de 20.000 m², elle comptera aussi notamment une bibliothèque, un centre culturel et un établissement d’étude coranique.

« Bouteflika voulait sa mosquée, c’est tout! Cette mosquée, c’est son empreinte », résume Mourad, 47 ans, riverain de l’édifice, surnommé « mosquée Bouteflika ».

Pour nombre d’Algériens, elle symbolise le détournement de l’argent public par le chef de l’Etat déchu et ses proches, mais aussi la mégalomanie de celui qui, après 20 ans de règne, se sera désespérément accroché au pouvoir malgré l’âge et la maladie.

Et, plus globalement, tout un « système » désormais rejeté massivement dans la rue depuis le 22 février.

« Cette mosquée montre juste que ce sont tous des voleurs », assène Fella, 52 ans, très impliquée dans le mouvement de contestation.

Pour elle, comme pour de nombreux observateurs, Abdelaziz Bouteflika a « voulu faire de la concurrence » à la grande mosquée Hassan II de Casablanca, jusqu’ici la plus grande du continent. En partie érigée sur la mer, elle est la fierté du Maroc, grand rival régional de l’Algérie.

En Tunisie, un autre autocrate déchu, Zine el Abidine Ben Ali, avait fait construire une somptueuse mosquée sur les hauteurs de Carthage, surnommée la « mosquée Ben Ali ».

« Le pire, c’est qu’on ne peut même pas y entrer! » s’indigne Mourad, près de la « mosquée Bouteflika ». L’accès au monument, gardé par de nombreux policiers, est toujours interdit. De l’extérieur, ne sont visibles que les va-et-vient des ouvriers asiatiques et africains.

A quelques rues de là, Radia, 42 ans, constate en balayant mollement le sol de sa boutique de vêtements: « Bouteflika a fait cette grande mosquée pour lui et désormais, il ne pourra même pas aller prier dedans ».

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