Nadim Ghodbane, militant écologiste et auteur, est aussi à l’origine de l’Association familiale stéphanoise pour la réhabilitation du carré musulman de Côte-Chaude à Saint-Etienne (Loire). En 2006, l’association qui avait signalé à la mairie l’absence d’entretien autour des tombes musulmanes, avait fini par obtenir un nouveau carré.
Dans « Rites funéraires et deuil dans l’islam français » paru chez l’Harmattan en octobre 2017, Nadim Ghodbane rapporte son expérience sur le sujet.
Il interpelle notamment sur le manque de place fait aux défunts de confession musulmane dans les cimetières français.
Il rappelle aussi que la création de carrés musulmans ne contrevient pas aux principes de la laïcité et qu’elle permettrait d’instaurer « une mémoire collective pour les générations à venir » au sein des familles musulmanes de France. Entretien.
LeMuslimPost : Comment expliquer l’insuffisance de carrés musulmans dans les cimetières français, alors même que l’islam est la deuxième religion de France ?
Nadim Ghodbane : Vous mettez justement le doigt sur le problème. C’est l’image de la société telle qu’elle est aujourd’hui, que la République refuse de voir. Il y a toujours beaucoup de défunts dont les corps sont rapatriés, mais c’est très cher et les pays en question commencent à ne pas voir cela d’un bon oeil, car il y a aussi un manque de place là bas.
De plus ces dernières années il y a eu la volonté de plus en plus forte de Français musulmans d’origines étrangères, de se faire enterrer en France. Il faut en tenir compte. Désormais il y a aussi beaucoup de convertis. Il faut penser à eux ! Ils ne vont pas se faire enterrer en Algérie, en Egypte ou ailleurs. Mais cela traîne au niveau local et politique.
Depuis une circulaire de 1991, il revient aux maires de décider de la création de carrés confessionnels au sein de leur cimetière. Y’a t-il donc un manque de volonté de la part des communes ?
Oui, beaucoup de maires ont peur, et ne se décident pas pour des raisons électoralistes. Dans ma région il y a des villes où le maire refuse, en s’appuyant sur la laïcité. Mais c’est un prétexte, une vision de la laïcité biaisée. Certes le cimetière est laïc mais il y a la possibilité de créer des carrés confessionnels à l’intérieur même de ceux-ci.
J’ai eu une confrontation avec un élu. Il m’avait dit que nous devions, nous les musulmans, nous « faire enterrer comme tout le monde », c’est-à-dire de façon « chrétienne » dans sa tête. Il faut vraiment sortir de la gestion colonialiste de ce sujet et plus largement de tout ce qui concerne l’islam en France.
Cependant, avec notre association pour la réhabilitation du carré de Saint-Etienne nous avons eu aussi à faire à un maire d’une petite ville de notre département, qui voulait créer un carré musulman. Une personne d’origine maghrébine allait mourir et sa seule demande était de se faire enterrer de façon musulmane dans le cimetière du village. Le maire s’est débrouillé pour construire une unique tombe musulmane. J’ai trouvé que c’était un très beau geste.
Aujourd’hui on compte 70 carrés musulmans dans les cimetières communaux ainsi que deux cimetières privés musulmans (le cimetière militaire de Bobigny crée en 1937 et l’autre bâti sous le Concordat en Alsace Moselle). Combien en faudrait-il pour répondre à la demande dans l’avenir ?
Dans une grande ville il faudrait plusieurs parcelles. Il faudrait de la place dans chaque ville en France pour un carré confessionnel, afin de répondre à la demande.
A Saint-Etienne, il y a quinze ans on avait fait trois projections sur l’avenir : une basse, une moyenne et une haute. La réalité aujourd’hui dépasse la prévision la plus importante que l’on avait faite. Cela devient de plus en plus compliqué. On avait un carré musulman depuis les années 50. Il servait aussi pour les villes avoisinantes. Depuis les années 80, la ville a décidé que seuls les Stéphanois devaient y être enterrés. Cela a donc forcé un peu les villes voisines à créer des carrés.
A Saint-Etienne, il y a cinq cimetières et seulement un seul avec un carré musulman alors qu’on a une population d’environ 170 000 habitants. J’ai suggéré qu’il y ait au moins deux ou trois parcelles dans plusieurs cimetières de la ville.
Vous écrivez que « l’intégration passe aussi par la désintégration du corps en France ». Pour vous, reculer devant la création de carrés musulmans, c’est refuser implicitement l’intégration de Français d’origines étrangères ?
Oui et c’est à la fois symbolique et violent. Quand on demande à être enterré ici c’est qu’on s’approprie la terre, que ce sol est le nôtre. Je n’imagine pas me faire enterrer ailleurs qu’ici dans ma ville. Ce qui est assez blessant aussi, c’est que les carrés musulmans sont souvent moins bien entretenus que les autres. Lors d’une visite au cimetière j’avais dut au premier adjoint au maire de la ville, en montrant les parcelles réservées aux chrétiens : « Pour entretenir cette parcelle vous ne demandez pas l’avis du diocèse. A l’avenir, il faut que ce soit ainsi pour les musulmans. »
La tombe est une propriété privée et les familles doivent l’entretenir. Mais tout l’espace entre les tombes, c’est à la ville de le faire. Avec mon association, on a fait une pétition, on a fait venir la presse locale, on est intervenu au conseil municipal ainsi qu’au conseil régional du culte musulman, car c’est aussi leur travail. Depuis à Saint-Etienne, c’est rentré dans l’ordre.
N’est-ce pas justement aux responsables musulmans de se saisir de ce sujet ?
Bien sûr, mais nous manquons de cohérence. A Saint-Etienne par exemple, la communauté musulmane de la grande mosquée est celle qui est la plus écoutée. Mais ils ne sont pas dans cette démarche là. Ils sont encore dans le rapatriement des défunts car ce sont des anciens. Ce sont les jeunes et les convertis qui sont les plus concernés par la question et qui devraient porter ce sujet.
A la Toussaint, vous affirmez que de plus en plus de familles musulmanes viennent se recueillir sur les tombes de leurs défunts comme le veut la tradition catholique. Pour vous, cela fait partie des évolutions des pratiques funéraires de l’islam en France. Quelles sont les autres évolutions ?
A la Toussaint, comme c’est une pratique répandue de venir visiter les tombes de ses défunts, les musulmans se sont mis à le faire aussi. C’est une habitude qui est en train d’entrer dans les moeurs et que j’ai pu observer à Saint-Etienne et dans le sud de la France. Mais il y a aussi l’embellissement des tombes par exemple. Cela ne se faisait pas trop avant. Maintenant les gens décorent les tombes, viennent régulièrement les nettoyer, les fleurir. Enfin, pour des raisons sanitaires, il est interdit d’enterrer à même la terre. Nous avons aussi pris le pli.
Vous évoquez également en marge des carrés musulmans, la question du don d’organes au moment du décès. En quoi la position de l’Islam est-elle libérale à ce sujet ?
Oui et cela peut paraître étonnant. C’est autorisé car les dons d’organes, si c’est pour sauver des vies, sont considérés comme des hassanats. Il y a eu des positions claires à ce sujet qui ont été prises, par plusieurs instances religieuses reconnues comme le Conseil international de jurisprudence basé à Jeddah en Arabie Saoudite ou l’Organisation de la Conférence islamique (OCI).