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Conversion à l’islam : au-delà des préjugés, une étude interroge les femmes concernées

La conversion à l’islam volontaire, en particulier de femmes, est souvent mal comprise. Les principales intéressées témoignent.

 Depuis toujours, la figure du converti fascine et inquiète. De Jack Ward, corsaire anglais du XVIIe siècle devenu Yusuf Rais, à Fabien Clain, terroriste de Daesh tristement connu pour être la voix revendiquant les attaques du 13 novembre, les convertis sont des figures anxiogènes. Les femmes ne font pas exception. On les dépeint souvent revêtues d’un niqab d’où ressortiraient seulement des yeux bleus.

La femme convertie concentre en effet les paniques morales du XXIe siècle : extrémisme, séparatisme, terrorisme. Il est indéniable que plusieurs converties ont joué un rôle important au sein de ce terrorisme djihadiste. Il convient aussi de souligner que le phénomène reste extrêmement minoritaire.

La conversion réfléchie et volontaire de femmes qui n’ont aucun lien direct ou hérité avec l’Islam est loin des stéréotypes qui leurs sont souvent assignés. Chaque conversion fait en réalité partie d’un ensemble de circonstances sociales et intimes. Mon analyse se fonde sur les résultats d’une enquête qualitative, menée de 2017 à 2019 en France et en Irlande. Les données proviennent de 35 entretiens approfondis et de nombreux entretiens informels effectués pendant des périodes d’observation participante. Les interviewées étaient toutes des femmes converties à l’islam, nées et socialisées en France ou en Irlande, sans lien préalable avec l’Islam. Elles avaient entre 17 et 71 ans lors de l’enquête. Leur âge moyen au moment de la conversion était de 20 ans.

La conversion est un parcours au cours duquel la convertie va créer et négocier des identités nouvelles ou hybrides. Bien qu’elle soit souvent officialisée par la shahada (profession de foi), la conversion est avant tout un processus au long cours. L’adhésion est souvent constituée de multiples essais, suivis de l’adoption plus ou moins progressive d’un système de croyances islamique et des comportements associés.

Les événements déclencheurs sont très variés : quête spirituelle, réflexion politique, voyage, réseaux d’amis, mariage, choc suite à un attentat. Bien que chaque conversion soit unique, il est possible de distinguer trois approches : par friction (de proximité ou maritales), spirituelles, et réactives (de curiosité ou politiques).

Pourquoi se convertir ?

Les conversions les plus courantes sont liée à une proximité spatiale et émotionnelle avec des personnes musulmanes. Ce sont les conversions que je nomme « par friction ». Elles comprennent les conversions maritales, à but de convenance, qui demeurent rares, et les conversions de proximité. « L’islamophilie » est un aspect clé de ces dernières. Les femmes entretiennent des liens proches (souvent amicaux) avec des personnes de culte musulman. Lorsque la relation est d’ordre romantique, elle n’est pas nécessairement suivie d’un mariage. Ce dernier se décide ultérieurement, une fois le cheminement spirituel abouti, souvent à la demande de la femme pour rendre l’union licite aux vues de ses nouvelles croyances :

« Au moment où on s’est mis ensemble, il était musulman de naissance, mais il ne priait pas encore. Ça lui arrivait d’aller au McDo et de pas manger halal, donc il était musulman, mais pas très pratiquant on va dire. Et au moment où je me suis convertie, lui a pratiqué plus aussi […] D’ailleurs je le tanne un peu pour [qu’on se marie].

 

J’espère que ça sera le plus vite possible, et ça sera religieux, ça sera musulman. Et je dirais même que des fois c’est plus moi qui suis insistante sur ces points que lui. »

Louise, étudiante, 25 ans, union libre, sans enfants

Les conversions dites spirituelles sont l’aboutissement d’une quête religieuse, rationnelle et intellectuelle. L’islam peut aussi être découvert après l’essai de plusieurs religions moins stigmatisées (bouddhisme, protestantisme), ce qui permet une rationalisation sociale de leur choix :

« Je cherchais un peu. Comme en plus dans mes voyages je rencontrais des religions plutôt animistes, je me disais, peut être que les objets ont une âme […], mais sans vraiment que ça m’accroche trop. […] Et comme je sors d’une famille protestant[e], je me suis dit ben voilà je vais m’intéresser. [Je suis allée au Culte] mais […] ça ne me parlait pas comme religion […]. Du coup j’ai continué à lire sur l’islam […], naturellement je me suis dit […] quitte à choisir une religion, enfin j’avais besoin de choisir une religion, je me suis dit bah voilà, je vais devenir musulmane. » (Anaïs, 27 ans, urbaniste, célibataire, sans enfants)

Enfin, les conversions réactives peuvent être politiques ou dites « de curiosité ». Les premières, plus rares, se définissent par des positionnements idéologiques vus comme une forme de résistance sociale contre l’exclusion, ou bien une adhésion à un courant d’islam politique porteur d’un projet social. Les conversions de curiosité sont plus fréquentes. Dans ce cas, l’intérêt pour la religion est suscité par la remise en question de la représentation négative de l’islam dans les médias.

Briser le stéréotype de la musulmane oppressée

Bien que les représentations médiatiques des femmes musulmanes se soient quelque peu diversifiées ces dernières années, le stéréotype prédominant persiste à les dépeindre comme simultanément « réprimées » et « menaçantes ». Les personnes que j’ai interrogées étaient parfaitement conscientes de ces stéréotypes avant de se convertir et les partageaient même parfois :

« J’étais de plus en plus attirée par [l’Islam] […] j’avais besoin de m’identifier, mais en même temps, dès que je disais “musulmane”, tout en moi se crispait. C’était “non ! Pas musulmane !”. Pas cette représentation, avec ce vieux foulard, ces vieilles croyances… » (Delphine, enseignante, 23 ans, mariée, sans enfants)

Pour contrer ce sentiment, beaucoup de converties insistent sur la relation entre féminismes et Islam, et la question de l’émancipation féminine par l’Islam. Elles tentent de briser le stéréotype de la musulmane oppressée (par un mari, une culture, une religion) par leur comportement. Amina Wadud, ancienne chercheuse, convertie, est très impliquée dans le droit des femmes en Islam.

Plusieurs stratégies peuvent être identifiées. Certaines préfèrent rester « invisibles », soit en ne portant aucun signe religieux identifiable, soit en portant un couvre-chef qui n’est pas reconnaissable comme islamique (bandeau, bonnet). D’autres choisissent de porter un hijab plus conventionnel et l’accompagnent de micro-actions qui vont pousser à leur reconnaissance en tant que musulmanes et « modernes » (coordination des couleurs, attitude avenante, mise en avant d’un niveau d’éducation élevé).

D’autres préfèrent se séparer symboliquement de leur société d’origine en adoptant des vêtements très couvrants comme le jilbab ou le niqab, mais tout en faisant appel au principe fondamental de la liberté de choix. Quelle que soit la stratégie employée, la majorité des converties invoque ces notions de liberté de choix et d’agentivité, reflets directs de leur expérience dans une société libérale.

Une nouvelle identité féminine

Pour beaucoup de converties, l’adoption de l’islam nécessite la redéfinition des notions précédemment acquises sur le féminisme et la féminité.

Lorsqu’elles parlent de droits des femmes, elles font la distinction entre les musulmanes européennes et celles dans des pays musulmans. La composante patriarcale présente dans certains pays musulmans est fréquemment critiquée, tandis que l’Islam est mis en avant comme une religion progressiste – en utilisant souvent des modèles issus de l’histoire des femmes proches du Prophète (Khadija, Aïcha, Fatima).

La plupart contribuent néanmoins à la consolidation de normes de genre conservatrices. Cela ne les empêche pas de trouver un accomplissement personnel dans ces nouvelles articulations pieuses du soi.

Par ailleurs, comme d’autres femmes qui se réclament du « conservatisme », les converties qui ont tendance à rejoindre une tradition religieuse stricte le font car cette communauté reflète leurs besoins. C’est précisément parce que les groupes religieux conservateurs légitiment le désir de certaines femmes d’avoir une identité « traditionnelle » d’épouse et de mère qu’elles les trouvent attrayants.

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