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« D’abord ils ont effacé notre nom » : le premier témoignage d’un réfugié rohingya

« On nous appelle les ‘kalars’, un terme péjoratif qui désigne avec mépris et dégoût les ethnies à la peau foncée et plus spécifiquement nous, les Rohingyas, les musulmans birmans ». 

Ainsi Habiburahman commence son récit. Alors que celui-ci a trois ans, en 1982, le dictateur U Ne Win promulge une nouvelle loi qui raye l’ethnie Rohingya de la citoyenneté birmane. Les persécutions redoublent alors pour le million de Rohingyas vivant sur leurs terres ancestrales, dans l’Etat d’Arakan. 

Pour le jeune homme et sa famille, c’est le début de nombreuses souffrances et d’un long exil qui le mènera jusqu’en Australie, où il trouve enfin refuge en 2009. 

A travers ce récit, co-écrit par la journaliste Sophie Ansel et paru en mars dernier, Habiburahman raconte son histoire, mais donne aussi à voir et à comprendre les injustices, la torture et les massacres dont sont victimes les Rohingyas au quotidien.

Une réalité depuis longtemps occultée par le régime dictatorial birman et que Habiburahman dénonce comme un « génocide lent » et ignoré du reste du monde.

En effet, les réfugiés rohingyas parti en masse vers le Bangladesh depuis août 2017 ont fait la une des journaux occidentaux ces derniers mois, et leur sort a également été relayé sur internet et les réseaux sociaux. 

Mais ce témoignage rare et inédit fait prendre conscience d’une ségrégation orchestrée depuis plusieurs décennies déjà et de « l’histoire secrète et non écrite des Rohingyas », rapportée dans le livre par la grand-mère d’Habiburahman. 

« Il faut « birmaniser » et « bouddhiser » l’Arakan. C’est notre apartheid »

Celle-ci raconte les premières attaques dans les villages Rohingyas, dès 1942. S’ensuit alors la liste des multiples opérations menées par les militaires birmans dans leur chasse à ce qu’ils appellent les  « parasites de la nation ». 

Dès 1959, les militaires baptisent leur opération « Or pur », puis « Davantage de pureté » entre 1967 et 1971, « Purifier et blanchir comme la fleur de jasmin en 1974, ou encore « Belle nation immaculée » en 1991. Déjà cette année là, 260 000 Rohingyas sont contraints de fuir au Bangladesh.

Comme le détaille Habiburahman, les Rohingyas de l’Arakan sont parqués dans des « villes-prisons » qu’ils n’ont pas le droit de quitter, où ils n’ont pas d’identité, n’ont pas le droit de se marier, pas la possibilité d’obtenir un diplôme… où leurs droits les plus élémentaires sont confisqués. 

Une situation que l’auteur compare à celle de l’apartheid en Afrique du Sud. « En Arakan du Nord, il existe un système similaire, sans nom, la ségrégation des kalars, officiellement non-citoyens selon la législation mise en place par le précédent dictateur Ne win, allègrement poursuivie par son successeur Than Shwe. La Nasaka (l’armée ndlr) continue de semer la terreur dans les villes concentrationnaires qui nous enferment. Les villages colons, natala, poussent comme des champignons sur les terres confisquées aux Rohingyas. Il faut « birmaniser » et « bouddhiser » l’Arakan. C’est notre apartheid », explique Habiburahman. 

Dans ces villages, les Rohingyas sont soumis à des taxes toujours plus extravagantes et pour le moindre déplacement d’un quartier à un autre. Les militaires s’emparent de leurs terres ainsi que de leurs vivres pour nourrir leurs propres camps. Les Rohingyas sont également victimes d’humiliations, d’exécutions arbitraires, condamnés à des travaux forcés, envoyés en prison ou dans des camps.

Un climat nationaliste et extrémiste dans lequel les autorités tentent d’effacer la culture rohingya et son histoire, notamment par la destruction de la mosquée du chef musulman Sandhi Kan construite en 1433. 

« Le précieux et séculaire patrimoine musulman des Rohingyas doit disparaître. La Birmanie ne peut souffrir un héritage religieux autre que bouddhiste. Nos mosquées dérangent sur une terre qui se veut étinceler de ses milliers de pagodes dorées », écrit Habiburahman. 

Le mot « Rohingya » banni du vocabulaire

Une identité rohingya qu’ils sont eux-mêmes contraints à taire et à dissimuler afin d’éviter des ennuis ou même la prison. Dès son enfance, le jeune Habiburahman se voit interdire  par sa famille de prononcer le mot « rohingya ». « Nous ne l’employons qu’entre nous, dans la hutte. C’est notre identité secrète. Papa insiste pour qu’on emploie le terme ‘musulman’ lorsque nous nous présentons ». 

On comprend donc au fil des pages que ce n’est pas seulement la religion musulmane des Rohingyas qui dérange les nationalistes ou les extrémistes bouddhistes, mais surtout leur couleur de peau. Il s’agit donc aussi du rejet de l’ethnie rohingya elle-même, alors que la Birmanie en compte plus de 130 différentes. 

Dans cet enfer quotidien, Habiburahman rêve lui de devenir avocat pour défendre les droits de sa communauté. Son père le pousse à étudier et l’envoie dans la même école que les autres Birmans, malgré les injures des autres camarades. Au lycée, seuls quatre jeunes dont Habiburahman sont musulmans, sur des milliers d’élèves. 

Une éducation rigoureuse et une détermination à réussir qui aideront le jeune apatride à fuir, en quête d’une vie meilleure. Entre 1994 et 2013, Habiburahman passera par le Laos, la Thaïlande, la Malaisie… Rejeté d’un pays à l’autre, il raconte le calvaire de ses séjours en centres de rétention, du travail illégal sur les chantiers, de ses cachettes dans la forêt pour échapper à la police… 

En 2004 il est même fait esclave par des pêcheurs thaïlandais… alors qu’il venait d’obtenir le statut de réfugié de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). 

Depuis 2010 il réside en Australie où il n’a de cesse d’alerter l’opinion publique, les ONG et les journalistes, sur le sort de ses compatriotes. Au mois de février, Habiburahman devait d’ailleurs venir témoigner devant le Parlement européen. Mais, comme une malheureuse répétition de l’histoire, le pays lui a refusé son visa…

« D’abord ils ont effacé notre nom », Habiburahman avec Sophie Ansel. Editions de la Martinière. 240 pages. 

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