La fusillade de Las Vegas, qui a fait 58 morts et prés de 500 victimes, est à ce jour la pire tuerie de masse de l’histoire contemporaine des Etat-Unis. Alors que l’enquête suit toujours son cours, le débat sur la qualification de l’acte a ressurgi et, avec lui, les accusations de clémence envers un criminel lorsque celui ci est blanc. Aucun organe de presse mainstream n’a, à ce jour, qualifié la fusillade d’acte terroriste et l’auteur, Stephan Paddock, un Américain blanc de 68 ans, a échappé à la qualification de « terroriste. » Sur le site d’information philly.com par exemple, ce dernier est décrit comme un homme qui « aimait les jeux d’argent et la musique country » comme si il fallait humaniser l’auteur et faire en sorte qu’on se souvienne de lui comme un type sympa qui aurait mal fini.
Pourtant, si l’on s’en tient à la législation du Névada, cet acte est bel et bien de nature terroriste puisque ce dernier est bien un « acte impliquant l’utilisation ou la tentative d’usage de sabotage, de coercition ou de violence visant à causer de grands dommages corporels ou la mort à la population générale. » Mais lorsque le shérif a tenu sa première conférence de presse après la tuerie, il s’est bien gardé de qualifier la tuerie d’acte terroriste.
Côté maison blanche, Donald Trump a étrangement réagi de manière calme lors de sa conférence de presse et s’en est tenu à lire le prompteur mot pour mot sans jamais évoquer le terme tabou. Le président américain, connu pour ses excès de langage, ses improvisations et ses commentaires incohérents, avait même fini son intervention en appelant à « l’unité du peuple américain » et en déclarant que « les liens qui nous unissent ne pourraient être détruits par la violence. » Il serait inutile de rappeler les réactions du personnage après la tuerie d’Orlando commise par Omar Mateen qui avait fait 50 morts dans une boite de nuit en juin 2016 et son tweet : « J’apprécie avoir eu raison au sujet du terrorisme islamique. »
Cette soudaine précaution de la droite américaine nous a été servie de manière abjecte sur un plateau de Fox News. La séquence, relevée par l’équipe du Daily Show présenté par Trevor Noah, est on ne peut plus explicite: « Nous n’en savons pas encore assez pour le haïr. » Rien que cela.
Rien ne pourrait expliquer cette minimisation du terrorisme commis par des personnes blanches tant il représente une menace directe pour les Etats-Unis. Comme le souligne le Centre For Investigative Reporting (Centre pour le Journalisme d’Investigation), bien que « le président Donald Trump a décrit à plusieurs reprises le ‘terrorisme islamique radical’ comme la menace la plus importante pour les Etats-Unis », leur étude est arrivée à la conclusion que le terrorisme d’extrême droite est deux fois plus important que les « incidents islamistes. »
Pourtant la couverture de ces attaques terroristes montre que ces derniers bénéficient d’une drôle de clémence. Lorsqu’en juin 2015, Dylann Roof, suprémaciste blanc avéré, a exécuté neuf personnes noires dans une église de Charleston en Caroline du Sud, la gouverneur Nikki Haley — aujourd’hui ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU — avait déclaré « ne pas avoir les tous les détails de l’affaire et qu’elle ne comprendrait jamais ce qui pourrait pousser quelqu’un à entrer dans un lieux de culte et prendre la vie d’un autre. » Les détails sur les opinons politiques de l’auteur s’étaient pourtant répandus comme une trainée de poudre et ses propos racistes et photos largement relayés.
L’extrémisme de droite (right wing extremism) faisait déjà l’objet d’un rapport interne au Département de la Sécurité Intérieure et s’inquiétait de leurs moyens économiques et capacités de mobilisation. Quelques années plus tard, une démonstration de force avait eu lieu dans le parc national de Malheur dans l’Oregon avec une milice composée de 150 hommes lourdement armés et prêts à en découdre avec les forces de l’ordre pour une question de gestion des terres. Cette opération paramilitaire n’avait pourtant pas été qualifiée de terroriste, ni par la presse mainstream ni par le gouvernement lui même qui avait préféré parler de « question d’application de la loi locale. » Imaginons un instant qu’un groupe de militants afro-américains en avait fait de même, quel aurait été le traitement médiatique et politique d’un tel épisode? Si les auteurs portaient des prénoms « musulmans » et n’avaient pas le bon faciès, auraient-ils bénéficié de l’appellation « activistes armés » comme on a pu le lire dans certains médias ?
« Le résultat direct, c’était de voir les familles des victimes se faire insulter et cracher dessus par la foule quand certaines d’entre elles s’étaient déplacées pour la minute de silence »
On serait bien avisé de ne pas croire que cette tragique hypocrisie est réservée à la presse américaine. Ici en France, lorsque le conducteur d’un camion a foncé dans la foule et fait 84 morts, personne n’a attendu avant de qualifier le massacre d’« acte terroriste islamiste » et dans la lancée, jeter en pâture encore une fois les personnes de confession musulmane. J’étais moi même atterré devant mon écran à voir les intervenants sur France 2 et BFMTV se surpasser de bêtise pour ne pas dire autre chose. Le but n’était pas d’informer } car peu d’informations étaient disponibles — mais de choquer, quitte à en oublier sa fonction de journaliste. Le résultat direct, c’était de voir les familles des victimes se faire insulter et cracher dessus par la foule quand certaines d’entre elles s’étaient déplacées pour la minute de silence. Le père de l’auteur s’était pourtant exprimé au sujet de l’état psychologique de son fils, son traitement médical et son absence de religiosité. « Il était dépressif, disait il, et avait cessé de prendre ses médicaments. » Personne n’a cru bon de prendre cela en compte car ce n’était utile pour personne.
https://www.youtube.com/watch?v=NzcwDtxjNXA&feature=youtu.be
Nous sommes en octobre 2017 et plus d’un an plus tard, aucun lien formel n’a été établi entre Mohammed Lahoueiej et un groupe terroriste. Ce dernier, de par sa couleur de peau, son origine ou la religion qui lui étaient attribuées a été immédiatement qualifié de terroriste et supposé en liaison avec Daesh.
Ce traitement biaisé de l’information, particulièrement lorsqu’il s’agit d’actes violents contre des civils, démontre la nature de nos sociétés structurée par la suprématie blanche. Contrairement aux idées reçues, cette dernière ne se définit pas — seulement — par l’adhésion aux thèses néonazies ou néofascistes ou à l’expression d’idées racistes en public, mais à la détention, la consolidation et l’expansion du pouvoir par ceux qui se définissent comme blancs. Or, quelle meilleure manifestation de la domination blanche que celle de dire qu’ils sont les gentils et qui sont les mauvais, de minimiser les actes terroristes commis par des blancs en prenant toutes les précautions pour ne pas les nommer comme tels, et de l’autre côté, voir une religion, une couleur de peau, une civilisation et un arbre généalogique lorsque l’auteur n’est pas blanc ?
Mais s’en tenir au manque de déontologie de biens des journalistes serait réducteur. La suprématie blanche vient avec son corollaire, le privilège blanc qui fait qu’un terme comme « radicalisation » n’est jamais appliqué aux groupes d’extrême droite qui peuvent et continueront de pouvoir appeler à la violence, s’entrainer au maniement des armes et des explosifs en Ukraine ou lorsqu’ils lancent une opération de « crowdfunding » pour saboter les opérations de sauvetage des exilés en haute mer.
« Le privilège blanc, c’est d’être spectateur de tout cela sans jamais n’avoir à se remettre en question »
Le terme de radicalisation n’a été martelé que lorsqu’il s’agit de parler de musulmans, ou supposés tels, exprimant des opinons politiques avec lesquelles on peut — ou pas — être d’accord. On en devient ainsi incapable de l’appliquer aux personnes issues du groupe majoritaire. Le privilège blanc s’illustre par la condamnation à deux ans de prison d’une mère lorsqu’elle aide son fils parti en Syrie alors que les députés de la majorité refusent d’interdire le financement du terrorisme par les entreprises française. Le privilège blanc, c’est de pouvoir hiérarchiser les vies humaines, de ne s’émouvoir que lorsque les civils tués sont blancs par des bombes dans des villes occidentales, sans avoir à se rappeler de ceux qui meurent tous les jours sous les bombes occidentales en Afrique ou au Moyen-Orient, sans jamais appeler cela du terrorisme.
Parler de privilège blanc lorsqu’il s’agit de terrorisme ne revient pas à essentialiser les personnes ou de les réduire à leur couleur de peau. Il s’agit plutôt d’interpeler ceux qui en bénéficient pour leur rappeler que d’autres payent le prix de ce privilège et qu’une société ne peut espérer évoluer en paix tant qu’il y aura une telle aisance dans l’application « deux poids-deux mesures » en toute circonstance. Le privilège blanc, c’est d’être spectateur de tout cela sans jamais n’avoir à se remettre en question.