Le gouvernement espagnol aura tout fait pour empêcher le scrutin de dimanche, usant de multiples moyens à sa disposition : perquisitions, saisies des bulletins de vote, fermetures de sites internet, arrestations de fonctionnaires… Mais au lendemain du vote, c’est surtout la violence des policiers qui est largement dénoncée. Hier, la maire de Barcelone, Ada Colau, annonçait plus de 460 blessés en fin de journée. Carles Puigdemont, le président catalan, exige désormais le retrait des forces policières déployées par Madrid. Retour sur une crise dont Cyril Trépier, chercheur et auteur de « Géopolitique de l’indépendantisme en Catalogne » (Editions l’Harmattan), nous explique la source et les enjeux.
A quand remonte ce désir d’indépendance en Catalogne ?
L’indépendance n’était pas le premier souhait de la Catalogne. Elle voulait d’abord davantage d’autonomie. Cette idée a émergé dès 1898 avec la perte des dernières colonies : Cuba et les Philippines. Barcelone, capitale de la première région industrielle du pays, a estimé que l’Espagne avait mal protégé les intérêts de la Catalogne. Puis ce mouvement s’est renforcé durant les deux dictatures successives, celle de 1923 à 1930 et celle de Franco ensuite, de 1939 à 1975. La défense de la langue et de la culture catalane étaient les aspects fondamentaux de ce mouvement. Ce dernier s’est amplifié en 2010 avec une annulation du nouveau statut d’autonomie de la Catalogne par la cour constitutionnelle, qui la déclarait avant comme une « nation » à l’intérieur de l’Etat.
Le désir d’indépendance a aussi grandi avec le sentiment que des états membres de l’Europe, même moins peuplés que la Catalogne, pesaient dans les décisions européennes. Enfin, les mesures d’austérité appliquées durant la crise économique par le gouvernement espagnol, ont servi d’accélérateur au mouvement indépendantiste. Le 11 septembre 2012, lors de la fête de la Catalogne, des messages indépendantistes se sont fait de plus en plus entendre.
Ce vote sur l’indépendance était-il légal ?
Non ce vote n’était pas légal selon la justice. Même sans les violences durant le scrutin, les conditions n’étaient pas respectées pour la tenue d’un vrai référendum. De plus, les organisateurs ont pris comme référence exclusive leurs électeurs. Ils les ont présenté comme le peuple de Catalogne alors que les indépendantistes ont obtenu moins de 48 % des voix aux élections régionales de 2015. 2,2 millions d’électeurs, c’est seulement un peu plus que le nombre de citoyens ayant voté lors de la première consultation sur l’indépendance en novembre 2014. Les violences de la police sont au cœur du débat, mais on oublie les chiffres. La majorité indépendantiste reste encore à prouver.
Quelles seraient les conséquences pour l’Espagne si la Catalogne devenait officiellement indépendante ?
L’Espagne perdrait les 7 millions de citoyens habitant en Catalogne mais aussi les 20% de son PIB, qui sont produit par la région. La Catalogne est l’une des plus riches régions de l’Espagne, c’est le cœur économique du pays. Mais les conséquences se feraient sentir dans les deux camps. En effet, la Catalogne, n’appartiendrait plus à l’Union Européenne, du moins temporairement, et se verrait privée d’une partie de son marché à l’exportation.
Jusqu’où la répression du gouvernement espagnol peut-elle aller ?
Sur le plan légal, deux procédures jamais appliquées en Espagne jusqu’alors, pourraient être entamées. Le gouvernement pourrait suspendre l’autonomie de la région, en invoquant l’article 155 de la Constitution. Mais il faut pour cela la majorité au Sénat, ce que le Parti Populaire de Mariano Rajoy n’a pas actuellement. La deuxième arme de Madrid, c’est la loi de sécurité nationale, qui suspend les fonctions des dirigeants des régions autonomes, sur simple décret.
Quelle est la situation actuellement et comment peut-elle évoluer ?
Il y a un risque élevé de déclaration unilatérale d’indépendance dans les prochains jours, si les organisateurs décident d’aller jusqu’au bout. On irait alors vers une entrave à la Constitution de 1978 qui mentionne l’indivisibilité du pays.
On risque aussi de voir de plus en plus d’affrontements en Catalogne. Les Catalans se présentent depuis toujours comme pacifistes. C’est vrai que la population n’a jamais soutenue des indépendantistes armés contrairement à ce qui se passe au pays basque. Mais il ne faut pas oublier certains passages violents de leur histoire lors de la semaine sanglante en 1909 et lors de la guerre civile espagnole.
Quelle est la position de l’Union Européenne sur ce sujet ?
En 2012 à Bruxelles, la Catalogne a exposé pour la première fois ses aspirations à l’indépendance sur la scène européenne. Officiellement, l’Union Européenne ne s’ingère jamais dans les affaires internes des états. Mais bien sûr, les dirigeants surveillent étroitement ce type de mouvements. L’UE n’a jamais vécu ce genre de sécession au sein d’un même pays avec la volonté d’une région de devenir un état membre à part entière au sein de l’Union. Les textes prévoient simplement qu’une région s’émancipant d’un état membre quitterait les organisations internationales auxquelles celui-ci appartient.
Les grandes dates de la Catalogne dans son chemin vers l’indépendance
2006 : Sous le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero, un nouveau statut renforce l’autonomie de la Catalogne, définie comme une « nation ». Il est approuvé par le parlement espagnol, mais le Parti populaire de Mariano Rajoy le rejette et dépose un recours devant le tribunal constitutionnel.
Juin 2010 : Le tribunal constitutionnel annule une partie du statut catalan et notamment le terme de « nation » qui n’a « aucune valeur juridique » à ses yeux. Une manifestation rassemble alors des centaines de milliers de Catalans à Barcelone, avec pour slogan : « Nous sommes une nation. Nous décidons ».
11 septembre 2012 : Une grande manifestation se tient à Barcelone. Les manifestants demandent la tenue d’un référendum pour l’indépendance.
9 novembre 2014 : La Catalogne organise une consultation symbolique sur l’indépendance avec 80% de oui et un taux de participation de 37%.
9 juin 2017 : Un référendum d’autodétermination est annoncé par le président du gouvernement régional, Carles Puigdemont, avec pour question : « Voulez-vous que la Catalogne soit un état indépendant sous forme d’une république ? »
1er octobre 2017 : Malgré l’opposition de Madrid, le référendum a bien lieu en Catalogne, sur fond de violences policières.