Depuis jeudi dernier, date de la première manifestation à Machhad dans le nord-est de l’Iran, les protestations s’amplifient et ont gagné plusieurs villes. Samedi des dizaines de milliers de personnes sont sortis dans les rues à travers le pays.
Selon un premier bilan, vingt et une personnes sont mortes et 400 personnes ont été arrêtées dont 200 à Téhéran.
Un mouvement important, mais bien loin des manifestations de 2009 contre la réélection contestée du président Mahmoud Ahmadinejad, soupçonné de fraude électorale. Cette fois-ci, ces manifestations spontanées sont sans mot d’ordre clair ni leader déterminé et seraient davantage portées par les classes populaires et les provinces que les classes aisées. Enfin, les contestations seraient surtout d’ordre économique que politique.
« Ils veulent une révolution iranienne, pas une révolution islamique », commente d’ailleurs pour la Croix Clément Therme, chercheur à l’institut international d’études stratégiques de Londres.
28 % des jeunes touchés par le chômage
En effet, depuis l’accord sur le nucléaire en juillet 2015 et la fin de sanctions économiques en 2016, la situation du pays s’est améliorée, mais pas aussi rapidement que les Iraniens l’espéraient. Si l’inflation est passée de 40 % à 10 %, 12,5 % de la population est encore au chômage, dont 28 % de jeunes selon les chiffres officiels. La croissance est repartie pour l’Iran, mais le développement de l’économie est toujours bloqué par des sanctions internationales qui n’ont été que partiellement levées.
A l’origine donc de ces manifestations, le coût de la vie, bien trop cher en Iran et un quotidien pesant pour les familles les plus pauvres. Les manifestants contestent entre autres le prix des oeufs et de la volaille, qui ont encore augmenté le mois dernier, atteignant une hausse de 50 %. Les manifestants, issus des classes populaires parlent d’ailleurs depuis dimanche de « révolution des oeufs ». Mais ils s’indignent aussi des annonces d’augmentation du prix de l’essence, et des nouvelles mesures réduisant les aides sociales des retraités.
Hassan Rohani, réélu en mai dernier pour un deuxième mandant, avait promis d’améliorer la situation économique du pays. Mais la politique d’austérité émanant du nouveau budget annuel présenté au Parlement le 10 décembre, n’a pas convaincue. D’autant que les subventions pour les fondations religieuses et les salaires des Gardiens de la révolution ont été augmentés.
« Notre économie a besoin d’une grande opération chirurgicale »
«Pas Gaza, pas le Liban, ma vie en Iran !» ont scandé des manifestants, pour protester contre le soutien, notamment financier, au Hezbollah mais aussi contre l’engagement financier et militaire en Syrie au côté de Bachar Al Assad. Les manifestants s’en sont pris à des bâtiments publics, attaquant aussi des centres religieux, des banques et des voitures de police.
Le président Hassan Rohani a réagi dimanche, rejetant « la violence et la destruction de biens publics ». Mais il a assuré que « la population était libre de critiquer le gouvernement et de manifester ». Lundi, il a également soutenu que le gouvernement ferait les efforts nécessaires pour « régler les problèmes de la population ». « Notre économie a besoin d’une grande opération chirurgicale », a t-il également admis. Dès samedi, le porte-parole du gouvernement, a d’ailleurs tenté de calmer la gronde en annonçant que le prix de l’essence n’augmenterait pas comme prévu le 21 mars 2018, date de la nouvelle année iranienne.
Les adversaires de l’Iran complices des manifestations selon les autorités
Toutefois, le gouvernement a fini par durcir le ton envers les manifestants. Le ministre de l’intérieur, Abdolreza Rahmani-Fazli, a assuré dimanche que ceux qui « causaient la violence et la peur » seraient « écrasés ». L’accès aux réseaux sociaux Telegram et Instagram, utilisés pour appeler à manifester, ont également été restreints.
Le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale, Ali Shamkhani, a affirmé que « les hashtags et les messages à propos de la situation en Iran provenaient des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Arabie saoudite ».
Le guide suprême iranien, Ali Khamenei, accuse lui aussi les détracteurs de l’Iran d’être à l’origine de ces manifestations. Aujourd’hui, il a assuré sur la télévision d’Etat que « les ennemis de l’Iran s’étaient unis en utilisant leurs moyens, leur argent, leurs armes (…) et leurs services de sécurité pour créer des problèmes au régime islamique ».
Le gouvernement iranien n’a entre autres, pas apprécié les récentes critiques de Donald Trump sur Twitter. «L’Iran échoue à tous les niveaux malgré le terrible accord signé avec eux par l’administration Obama», a posté le président américain. Il a également tweeté : «Le grand peuple iranien est réprimé depuis des années. Ils ont faim de nourriture et de liberté».
Ce à quoi Hassan Rohani a aussitôt répliqué : « Ce monsieur aux Etats-Unis qui veut montrer de la sympathie à l’égard du peuple iranien oublie qu’il l’a traité de terroriste il y a quelque mois. Il n’a pas le droit de compatir avec le peuple iranien. »
Une visite de Jean-Yves le Drian prévue vendredi à Téhéran
D’autres pays s’inquiètent aussi pour le peuple iranien et craignent une nouvelle révolution. Le ministère turc des Affaires étrangères a déclaré dans un communiqué que « le bon sens doit prévaloir pour empêcher toute escalade. » De son côté, l’Union européenne a dit « espérer » que le droit de manifester sera « garanti » en Iran, craignant les violences.
Le gouvernement français a quant à lui exprimé « sa préoccupation face au nombre important des victimes et des arrestations. » Une déclaration plutôt discrète, alors que la France tente de resserrer ses liens avec l’Iran. Vendredi, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian devrait d’ailleurs se rendre à Téhéran, afin de préparer la visite historique d’Emmanuel Macron, prévue probablement avant l’été 2018.