Les manifestations dans le Rif et dans d’autres villes du Maroc sont, rien qu’aux chants que l’on a pu y entendre, inédites. Les contestataires ont en effet entonné « Allah, Al watan, Al chaab » — comprenez « Allah, la patrie, le peuple » — qui a remplacé le classique et traditionnel « Allah, la patrie, le Roi » des manifs. En octobre 2016, la mort d’un vendeur de poisson, qui avait alors été broyé dans une benne à ordures, avait déjà agité la région. Mais cette fois, le social et le politique sont au cœur des revendications des manifestants dans cette région ultra-sensible du royaume chérifien. Les jeunes du Rif se sentent oubliés par le Roi, malgré les efforts de ce dernier pour y lancer des plans de développement socio-économiques. Avec un taux de chômage dépassant les 21 % — soit deux fois plus que la moyenne nationale —, les habitants du Rif ont de la rancœur. Et cela ne date pas d’hier : la région a un passé sécessionniste qui a toujours rendu plus tendues les relations entre ses habitants et le Palais royal. Le Rif ne veut plus être le « Maroc inutile » — expression utilisée pendant le protectorat — et veut montrer qu’il existe, avec son histoire et ses soucis.
Pour ce faire, les contestataires ont décidé de défier frontalement le pouvoir. Dans une région très conservatrice, soixante ans après la « révolte du Rif », des activistes se sont élevés contre la « dictature », la « corruption » et la « répression. » Contre les traditions religieuses aussi, très ancrées dans cette région. Nasser Zefzafi, un chômeur de 39 ans, a vendredi dernier à Al-Hoceima interrompu le prêche de l’imam lors de la prière. L’homme a finalement été arrêté pour avoir « insulté le prédicateur », « prononcé un discours provocateur » et « semé le trouble. » Une occasion inespérée pour les autorités marocaines d’arrêter l’un des leaders de la grogne grandissante. Zefzafi est en effet l’un des visage de Hirak, un mouvement contestataire de premier plan depuis la mort du poissonnier du Rif. Les autorités marocaines ont annoncé un plan de près de 900 millions d’euros qui vise à améliorer l’accès à l’emploi, aux structures de santé, à l’éducation et les infrastructures. Un véritable pari — et un test surtout — pour Mohammed VI, qui avait tenté de réconcilier les habitants du Rif avec le reste de la population marocaine à son arrivée sur le trône. Sans succès.