L’affaire avait eu un écho national, notamment parce que la LDJM de Karim Achoui l’avait portée devant les tribunaux. Les élus des Républicains et du Centre de Chalon-sur-Saône avaient, en septembre 2015, voté la suppression des menus de substitution au porc dans les cantines scolaires de la commune en place depuis 1984. Le maire Gilles Platret estimait alors que « la mention ‘avec’ ou ‘sans porc’ faisait entrer des considérations religieuses dans des lieux où elles n’avaient pas leur place » et indiquait vouloir « revenir à la neutralité de l’organisation du service public de la restauration scolaire. » En avançant la laïcité comme principal argument, le conseil municipal de Chalon pensait alors être couvert. Mais la Ligue de défense judiciaire des musulmans (LDJM) avait décidé de déposer un recours contre cette décision. « Le refus de servir un plat de substitution au porc contrevient de plein fouet à la liberté religieuse et cultuelle, qui sont deux principes élémentaires en France, et qui sont, de surcroît, consacrés par le droit européen et international des droits de l’Homme », estimait dans LeMuslimPost Karim Achoui, président de la LDJM.
Les menus de substitution ne sont pas illégaux
Il aura fallu en tout et pour tout attendre plus d’un an pour connaître la décision de la justice, qui devrait intervenir sous peu. Mais avant de statuer, le tribunal administratif de Dijon a — décision exceptionnelle — fait appel à la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) pour que cette dernière donne son avis sur la question. La CNCDH écrit, dans un document de cinq pages regroupant ses observations, qu’elle « s’inquiète particulièrement de ce que le caractère non obligatoire du service de restauration scolaire ne conduise le juge administratif, statuant en faveur de la commune de Chalon-sur-Saône, à ne pas se prononcer sur la validité » des deux motifs avancés par la mairie. La mairie de Chalon-sur-Saône estimait que la fourniture de menus de substitution allait à l’encontre de la laïcité et était inégalitaire pour les élèves. Pour la CNCDH, le fait que le service de restauration ne soit pas obligatoire « ne saurait justifier l’adoption de mesures entachées d’illégalité. »
Le principe de laïcité, rappelle la CNCDH, « n’interdit pas la fourniture de menus de substitution afin de tenir compte des convictions religieuses des enfants et de leurs parents », indiquant par ailleurs que « le principe de neutralité du service public ne s’oppose pas à ce que les usagers de la restauration scolaire puissent (…) bénéficier d’une alternative aux plats contenant du porc. » Mais ce principe « n’y oblige pas non plus » nuance la CNCDH. Cependant, indique la Commission, le fait qu’il n’y ait aucune obligation est « à relativiser. » La CNDH rappelle qu’il existe une « nécessité d’un ‘aménagement raisonnable’ des menus » au sein des prisons et que la Cour européenne encourage les établissements pénitentiaires à offrir cette alternative. La Cour ne voyant pas pourquoi des établissements refuseraient de servir des menus conformes aux exigences des détenus s’ils en ont les moyens matériels. La CNCDH estime qu’il en est de même pour la mairie de Chalon-sur-Saône qui, selon elle, « ne fait valoir aucune difficulté particulière qui aurait pu motiver la remise en cause » des menus de substitution.
Le droit instrumentalisé au détriment des enfants
Quant aux risques d’inégalités pointés par la mairie de Chalon-sur-Saône, la CNCDH estime que « l’arrêté repose sur une confusion entre le principe d’égalité et le régime de la responsabilité sans faute. » Autrement dit, résume la Commission, la mairie se doit de « traiter de manière identique les personnes placées dans une situation identique. » Par là, elle entend rappeler que les élus ont pour obligation d’offrir à tous l’accès à la cantine. Et que, comme pour la possibilité qui est offerte à la mairie d’adapter les tarifs en fonction des revenus des foyers, elle peut sans problème proposer des menus de substitution dans le but de satisfaire le plus grand nombre d’élèves. La CNCDH conclut sur ce point en affirmant qu’« une discrimination indirecte fondée sur l’appartenance religieuse notamment est interdite (…) en matière d’accès aux biens et services. » L’institution écrit ainsi dans son document que le conseil municipal de Chalon-sur-Saône dans ce cas précis, a « perdu de vue l’intérêt supérieur de l’enfant » en supprimant les menus sans porc.
Dans sa conclusion, la CNCDH invite les responsables politiques locaux à « se garder d’une instrumentalisation du droit à des fins polémiques et au détriment des enfants » et demande de « garantir la liberté de conscience » des usagers des cantines. La Commission exhorte les magistrats à juger illégale la suppression des menus de substitution qui s’appuie, selon elle, « sur une interprétation erronée des principes de laïcité et d’égalité. » En 2013, la CNCDH rappelait déjà qu’il fallait « se prévenir de toute construction d’une ‘nouvelle laïcité’ plus restrictive et qui risquerait d’enfermer toute expression de la liberté religieuse dans la stricte sphère intime, ce qui serait contraire à la loi de 1905. » Des observations qui devraient conduire le tribunal dijonnais à conclure à l’illégalité de la mesure prise par la mairie de Chalon-sur-Saône et à suivre la vérité juridique et politique tracée par la CNCDH. Si tel est le cas, cela pourrait évidemment faire jurisprudence au niveau national, comme cela avait été le cas après que le Conseil d’Etat avait jugé illégaux les arrêtés anti-burkini l’été dernier.
Pour lire le document d’observations du CNCDH, cliquez sur les images ci-dessous :