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Monsieur le professeur Bouvet et la loi de 1905, ou la théorie du complot

À l’occasion du débat qui aura lieu aujourd’hui entre Jean Baubérot et Laurent Bouvet sur l’antenne de France Culture, il est nécessaire de montrer quelle est la vision de ce professeur de sciences politiques sur la loi de Séparation. Il l’a exposé lors de la présentation, le 4 janvier dernier, de « Laïcité, point ! », le dernier livre de Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes, avec Jérémie Peltier à la fondation Jean Jaurès. On y apprend qu’il y aurait une conspiration…

La découverte d’un complot ?

Rapidement, M. le professeur Bouvet annonce sa découverte : « La lecture libérale [de la loi de 1905], c’est aujourd’hui une lecture assez dominante de la laïcité. Ce n’est pas une lecture neutre du texte de 1905, de la volonté d’Aristide Briand […]. » Et Laurent Bouvet d’ajouter : « Mais, faire parler Aristide Briand pour lui faire dire que finalement c’était un libéral et qu’il a voulu faire un consensus libéral sur une valeur qui est d’abord la liberté individualisée […], c’est une interprétation. »

Nous serions donc, si on en croit Monsieur Bouvet, devant un vaste complot ?  La profonde conviction qu’il existerait un complot mené par certaines personnes qui désiraient manipuler la population en lui cachant une vérité pour satisfaire leurs ambitions a un nom : le conspirationnisme. Brièvement, par quoi se caractérise la théorie du complot ? C’est le sentiment qu’on dispose enfin de la vérité qu’un groupe occulte  tente de nous cacher. Les théories du complot veulent expliquer l’histoire par des manipulations cachées qu’opéraient les élites.

Mais au fait, quelles seraient donc ces élites qui manipuleraient la vérité ? 

Les auteurs du complot

Grace à sa sagacité, M. le professeur Bouvet a pu démasquer ce groupe obscur qui essaie de nous cacher la vérité et il nous en fait part : « Cette interprétation n’est pas tombée du ciel […], a été construite par un certain nombre d’auteurs dont le principal, vous connaissez peut être son nom ? C’est Jean Baubérot qui, à partir de la fin des années 80, pour répondre à un nouveau contexte, après les affaires de Creil, auprès à l’époque de Lionel Jospin, au ministère de l’Education à ce moment-là, et puis ensuite, dans les années 1990, chute du mur de Berlin, […] qui fait que son interprétation face à de nouveaux enjeux, les jeunes filles voilées de Creil et les nouvelles tensions autour de l’arrivée de l’Islam qui n’était pas présente dans l’immigration […], Jean Baubérot […] va faire une interprétation du moment 1905 et des textes dans le sens de cette ouverture libérale. »

M. le Professeur Bouvet nous assure donc que la loi de 1905 ne serait pas libérale et que cela serait une reconstruction d’historiens dont Jean Baubérot  serait le chef de file...

Cette révélation, faite par M. le Professeur Bouvet, est un coup de tonnerre dans l’historiographie de la loi de 1905 ! Mais au fait, pourquoi ne pas l’avoir publiée ? Serait-ce parce que ce que cette découverte « sensationnelle » ne le serait pas tant que cela et qu’on en parlait déjà, depuis 1905, dans les bars (mixtes, bien sûr) et à proximité des machines à café des bureaux ?

La réponse à la théorie du complot par… une invention républicaine du 7 messidor an II

En premier, cher professeur Bouvet, la chute du mur de Berlin date de… 1989 et non pas des années 1990.

En second, j’ai cru comprendre, cher professeur Bouvet, que vous aimiez bien tout ce qui était RRRRrrrépublicain. Je me suis donc dit que j’allais vous faire plaisir en vous faisant profiter d’une belle invention républicaine : les archives nationales. Et que nous rapportent-elles ces belles archives ?

Dans les faits : que la loi de 1905 a été qualifiée, des le départ, par Aristide Briand comme libérale. Dès la deuxième Séance de la Commission (commission dite des 33 car composée de 33 députés : 17 pour la séparation, 16 contre)  chargée d’étudier les possibilités de séparation dont Briand venait d’être nommé rapporteur, les députés Allard, Vaillant et Dejeante — les ultras de la commission — ont  cherché à accélérer le mouvement  en déposant une motion qui prévoyait de proposer à la Chambre, dès la rentrée de septembre, la rupture du concordat et d’étudier seulement ensuite le nouveau régime des cultes. Briand a refusé de se présenter devant la Chambre avec «un texte ressemblant à un projet de résolution, dont la simplicité serait interprétée comme un aveu d’impuissance. » Mais surtout, il met les points sur les i en déclarant : « Je ne vois pas les mesures que nous soumettrons à la Chambre comme des mesures d’hostilité mais bien comme des mesures de libération pour l’Eglise et pour l’Etat. » [1]

Cette réécriture de l’histoire reprise par M. le professeur Bouvet ne date pas d’aujourd’hui. Elle débute des l’adoption de la loi de Séparation car ses aspects libéraux ont provoqué une gêne persistante chez les partisans de la laïcité intégrale. A telle point que la loi de 1905 ne semble avoir été que très peu célébrée par le milieu laïque militant avant que la Ligue de l’enseignement ne s’en empare au milieu des années 1980.  On peut signaler tout de même une conférence — témoignage donnée par Paul Grunebaum-Ballin [2] au cercle parisien de la Ligue française de l’enseignement le 29 octobre 1955, lors du cinquantième anniversaire [3]. Au congrès de la Ligue de 1936, le même auteur avait déjà présenté une défense et illustration du caractère libéral de la loi.

Bouvet, un intellectuel populiste ?

« Il y a, en général, quelles conceptions simples qui s’emparent de l’esprit du peuple. Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie, mais complexe. » (Alexis de Tocqueville, « De la démocratie en Amérique »)

Cette citation afin de rappeler qu’énoncer une ânerie  -comme le fait si bien M. le Professeur Bouvet -prend quelques secondes mais la mettre en évidence, beaucoup plus de temps. C’est ce que nous nous proposons de faire en examinant encore quelques minutes de la vidéo.

M. le Professeur Bouvet continue donc son « explication » de la loi de 1905 et précise : « Cela veut dire, par exemple, l’interprétation du premier article de la loi de 1905 : la liberté de conscience devient, en fait (et donc seulement, ndla) la liberté religieuse. »

M.Bouvet veut dire par là que, les « maudits historiens » qui ont une conception libérale de la loi de 1905 occultent la liberté de conscience ; c’est-à-dire la possibilité de ne pas croire au profit de la liberté de croire. Sauf que,  si on lit les ouvrages ou interviews de Jean Baubérot -qu’il accuse, pour rappel, d’être le chef des « manipulateurs de l’histoire de la loi de 1905 »-, voilà ce qu’on trouve à ce sujet : « La loi de 1905 garantit la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, ainsi que la non-discrimination et l’égalité des citoyens devant la loi, quelle que soit leur religion. »

Et si on envisageait d’accuser Jean Baubérot d’avoir un discours différent face à des représentants religieux,  voilà ce qu’il a déclaré, à ce sujet, face à un de ses coreligionnaires : «  […] cette dynamique, elle a amené cette revendication à la liberté de conscience. Donc cela, c’est la raison générale de l’attachement du protestantisme à une certaine forme de laïcité. » 

Personnellement, le sentiment que j’ai, au sujet de la liberté de conscience vue et corrigée par les tweets de  M.Bouvet  (comme les fruits : au moins 5 par jours), c’est que la sienne commence là où il arrête celles des autres.

M. Bouvet  poursuit en affirmant : « Contrairement à ce que disent ces gens libérale [vous savez, ces maudits historiens qui relatent les faits] qui sont pour une interprétation, la loi de 1905, cela ne s’est pas bien passé, cela n’a pas comme cela apaisé les relations, cela a été très dur, cela a été une lutte. »

Puisque M. le professeur Bouvet cible Jean  Baubérot en l’accusant d’être le chef de file d’une cabale d’historiens voulant modifier l’histoire de la loi de 1905 en occultant ses difficultés de mise en œuvre, il suffit de le montrer ce qu’il écrit dans ses ouvrages [4] : 

Et là encore, on voit que se qu’affirme doctement M. le professeur est faux.

Plus facile d’éblouir que d’éclairer

Je ne compte plus les contre-vérités que vous avez doctement affirmées lors de cette réunion. Cher Professeur Bouvet, il me semble qu’il soit plus facile pour vous d’éblouir que d’éclairer. Il me semble également qu’il serait plus juste de vous qualifier de « commentateur médiatique » plutôt qu’intellectuel compte tenu de vos approximations.

Ensuite et surtout, j’espère qu’en tant que politologue que vous n’avez pas oublié que le conspirationnisme est une des racines du totalitarisme et qu’il a conduit à des régressions de la démocratie.

[1] Archives nationales, PV de la commission de séparation, C-7300, dossier 65, 3 tomes (1078, 1079, 1080, Compte rendu de la séance du 24 juin 1903.

[2] http://chsp.sciences-po.fr/fond-archive/grunebaum-ballin-paul

[3] Publiée sous le titre « La tentative de paix religieuse d’Aristide Briand », Cahiers laïques, no 31, janvier-février 1956.

[4] « Histoire de la laïcité en France », Jean Baubérot, Puf, p 79 , 5e édition 2010.

David Weber est un pseudonyme. L’auteur de l’article, actif sur les réseaux sociaux, se veut être un « lanceur d’alertes » sur tout ce qui touche à la laïcité.

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