C’est un dossier de près de 600 pages publié par une mission d’information du Sénat. Un rapport complet sur « l’organisation, la place et le financement de l’Islam en France et de ses lieux de culte », qui sort à un moment important puisque, peut-on lire en introduction, « la situation nationale et internationale de ces derniers mois, de ces dernières années, a placé — bien malgré elle — la communauté musulmane vivant en France au cœur de débats et d’interrogations provoqués par l’amalgame trop fréquent entre l’islamisme radical et l’Islam. » L’Islam, poursuit le rapport, « est encore vu comme une religion de l’étranger, voire comme une religion étrangère, ce qui provoque des incompréhensions réciproques, des clivages, et génère des dérives de part et d’autre. » Les sénateurs ont donc voulu comprendre un peu plus l’organisation de l’Islam, en partant de « ce constat d’ignorance relative. » Tout au long de ses travaux, la commission d’information a gardé à l’esprit « quatre lignes directrices », à savoir « le caractère intangible de la loi de 1905 », « l’émergence relativement récente du culte musulman dans le paysage religieux français », « le constat que la pratique concordataire de l’Alsace-Moselle (…) n’offre pas les instruments juridiques appropriés pour répondre aux problèmes du culte musulman dans la France de 2016 » et enfin « le souci de ne pas appliquer au culte musulman des réponses toutes faites conçues pour d’autres confessions. »
Des liens forts avec les pays « d’origine »
Après une étude approfondie de la communauté musulmane — ou plutôt des communautés, comme le précise le rapport —, les sénateurs rappellent que, dans l’Islam en France, « le lien avec les pays d’origine reste fort, qu’il s’agisse des ministres du culte, du financement, de l’organisation de la filière halal ou de la représentation nationale du culte. » La commission en charge de ce document indique avoir réuni des élément permettant de « suggérer des pistes de transition vers un Islam de France, adapté au contexte français, à la fois compatible avec les valeurs de la République française et pris en charge par la communauté elle-même. » Parmi ces pistes, le « renouvellement de la représentation », la « formation en France des imams, formation laïque obligatoire des imams détachés et des aumôniers », mais également une « transparence accrue du financement, notamment étranger. » Mais attention, ajoutent les sénateurs : « l’Etat n’est pas appelé à intervenir dans le règlement des affaires religieuses, sauf lorsque pèse une menace sur l’ordre public. » Il faut donc, ajoutent les élus, que « l’Etat exerce pleinement ses prérogatives de puissance publique dans les domaines liés aux cultes dont il a la charge (sécurité nationale, protection des consommateurs, politique étrangère, fiscalité, etc.) tout en laissant la responsabilité à la communauté, dans le respect des lois de la République, de déterminer l’organisation que plusieurs appellent de leurs vœux. »
La représentativité du CFCM remise en cause
Tout au long du rapport, les sénateurs posent plusieurs questions intéressantes. Parmi celles-ci, celle de la représentativité pour les pouvoir d’un éventuel interlocuteur « représentatif du culte musulman. » Rappelant les « échecs successifs des années 90 », les sénateurs égratignent le Conseil français du culte musulman (CFCM). « Indéniablement, la maîtrise de la gouvernance du CFCM est devenue un enjeu de pouvoir entre fédérations et associations et, à travers elles, certains pays d’origine », estime la commission d’information qui reconnaît toutefois en ce conseil : « Une fonction symbolique : assurer la visibilité du culte musulman au même titre que les autres cultes. » Mais le CFCM est, continuent les sénateurs, source de « divisions » et de « contestation permanente de sa légitimité. » Avoir voulu créer une structure « sur le modèle du Consistoire israélite » est, lit-on, une « fausse bonne idée. » Le document dénonce d’ailleurs le « mode de scrutin ‘aux mètres carrés’ » que pratique le Conseil français du culte musulman. Les élus pointent d’ailleurs du doigt un « fossé générationnel croissant » et estime que si le CFCM représente le culte, il ne représente en revanche pas les musulmans. Les rapporteurs, en conclusion, indiquent qu’ils « considèrent qu’il appartient aux communautés de s’organiser elles-mêmes dans le cadre de nouvelles modalités tenant davantage compte des exigences de représentativité. »
Le financement étranger « marginal »
Concernant le financement du culte, les sénateurs indiquent que le financement étranger est « marginal par rapport au financement par la communauté elle-même. » Et la commission de sortir des chiffres très précis, comme ceux concernant l’Arabie Saoudite qui « finance le salaire d’environ 14 imams exerçant dans des mosquées en France » et qui a « participé au financement de huit mosquées françaises », à hauteur de près de 3,8 millions d’euros. Mais derrière cela, précisent les rapporteurs de la commission, des dons sont réalisés par des personnes privées étrangères. Mais le rapport met en tout cas fin à un fantasme très français : c’est bien « la communauté musulmane française » qui « finance ses lieux de culte principalement sur ses propres ressources. » A l’instar du culte catholique, dont les financements proviennent à 80 % des dons des fidèles. Mais les sénateurs veulent plus de contrôles : « Ces dons sont réalisés le plus souvent de façon manuelle, en espèces, rendant impossible toute traçabilité de leur provenance et, a fortiori, toute consolidation nationale », peut-on lire. Le document préconise que les communautés se constituent en associations cultuelles de la loi de 1905 pour plus de transparence, alors que les associations loi 1901 ont moins de contraintes concernant les dons. Enfin, les sénateurs proposent, entre autres recommandations, le « financement d’une formation des imams en France. »