vendredi 22 novembre 2024
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Rokhaya Diallo : « Les féministes du dimanche, on s’en passera ! »

LeMuslimPost : Le collectif afroféministe Mwasi est critiqué dans de nombreux magazines. Quel regard portez-vous sur cette polémique liée à l’organisation du festival Nyansapo ?

Rokhaya Diallo : Ce qui me choque dans cette histoire, c’est que ce sont les réseaux de la fachosphère qui ont alimenté cette polémique en prétendant qu’il était « interdit aux blancs ». Cette fausse information a été reprise par le Front National et c’est ce qui a nourri le communiqué de la LICRA et celui d’Anne Hidalgo, qui ont repris mot pour mot la rhétorique du FN et de la fachosphère. Déjà, ça m’interpelle qu’une association antiraciste et qu’une élue de gauche veuillent saisir le préfet de police sur la base d’allégations de l’extrême droite. Il y a une porosité un peu effrayante. Après, contrairement à ce qui a été dit, ce n’est pas un festival qui est « interdit aux blancs », mais qui effectivement organise certains ateliers réservés aux femmes noires. Bizarrement, le fait que ces ateliers ne soient pas ouverts aux Arabes, aux Roms ou aux Asiatiques — ni même aux hommes noirs — n’a absolument révolté personne. Tout le monde s’est scandalisé du fait que les blancs ne pourraient accéder à certains ateliers. On est dans un pays pour qui l’identité blanche est centrale et, finalement, ça a uni l’extrême droite et la gauche dans la défense de la suprématie blanche. Pour moi, évidemment, des ateliers temporaires qui permettent à des femmes d’échanger sur leurs conditions sont nécessaires. C’est aussi nécessaire d’avoir des cercles de non-mixité pour les femmes, cela a été salutaire dans l’histoire du féminisme français. Et je pense que c’est important pour développer des stratégies, échanger en sécurité et avec bienveillance sur des thématiques que d’autres ne pourraient pas comprendre.

On a également beaucoup parlé de cet article sur le sexisme à La Chapelle-Pajol, qui a fait beaucoup de bruit. Et là, on a vu deux féminismes s’opposer frontalement…

Ce qui m’épate, c’est qu’on a des gens qui ne sont jamais féministes, on ne les entend jamais parler du droit des femmes, du harcèlement de rue. Moi, je prends le métro régulièrement et il se trouve que je passe souvent par La Chapelle à pied, et ce n’est pas à La Chapelle que je me fais le plus harceler. J’ai déjà été accueillie de manière aussi désagréable à l’Assemblée Nationale. Je veux bien qu’on soit féministe, mais il faut l’être dans tous les cas, et certains ne sont féministes que pour dénoncer le sexisme des Arabes, des Noirs et des musulmans, jamais le leur. Alors que, lorsque l’on regarde les sphères médiatiques et politiques, ces dernières sont extrêmement misogynes. Pour moi, la question du sexisme est une question transversale. Il suffit de regarder le nombre de femmes qui meurent tous les deux jours et demi sous les coups d’hommes, les profils sociaux de ces hommes sont extrêmement divers. Ce n’est pas une question uniquement sociale, les hommes sont aussi violents indépendamment de leur classe sociale. On a un exemple tragique connu de tous les Français, celui de Marie Trintignant, qui était pourtant l’incarnation de la bourgeoisie intellectuelle française. Et elle n’a pas été tuée par un Arabe d’une cité. Je trouverai intéressants les gens qui s’insurgent par rapport à Sevran ou à La Chapelle quand ils auront le même regard sur tout ce qui se passe au quotidien. Les féministes du dimanche, on s’en passera !

« A partir du moment où une femme est voilée, elle n’a plus de couleur »

Ces deux féminismes, tout les oppose ?

Oui, en France, il y a un féminisme qui se croit universaliste, mais qui est en fait blanc, dominé par des femmes blanches et qui ne voient la vie que sous leur prisme. C’est un féminisme qui ne voit le corps de la femme que par le dévoilement et qui ne tolère pas que des femmes puissent être voilées et se considérer comme féministes en même temps. En fait, il y a un paradoxe. Car ces mêmes femmes vont célébrer Malala Yousafzai en disant qu’elle est courageuse ou se disent ravies quand Tawakkol Karman va recevoir le prix Nobel de la Paix. Sur ces cinq dernières années, deux femmes voilées ont reçu le prix Nobel de la Paix, on les salue et, en parallèle en France, on est incapable de reconnaître l’autonomie intellectuelle de femmes qui portent le foulard. Il y a vraiment un paradoxe. Il n’y aurait qu’une seule voie vers l’émancipation : montrer son corps plutôt que le couvrir. Laurence Rossignol, l’ancienne ministre du Droit des femmes et de la Famille, avait quand même dit que, en France, plus les jupes raccourcissaient, plus les droits des femmes avançaient. Je trouve ça scandaleux ! Et pourtant, j’aime porter des jupes courtes !

Ce qui divise ces deux types de féministes, c’est comme vous le dites la question du port du voile… Cela touche plus les femmes d’origine maghrébine ?

Je pense que, même si la femme est blanche, à partir du moment où elle est voilée, elle n’a plus de couleur : elle est musulmane. Effectivement, le voile met la femme directement dans une catégorie raciale dominée et je pense c’est un marqueur qui écrase encore plus que la couleur, tellement il a fait l’objet de débats et de fantasmes. Les gens ne voient plus que ça. Pour ces personnes, il y a voile et voile. C’est-à-dire que si l’on porte un foulard comme en Afrique de l’Ouest, on n’est pas considérée comme voilée. Pourtant, il y a beaucoup de femmes africaines qui portent le foulard par conviction religieuse, mais on ne va pas voir ce voile comme un voile religieux. C’est plutôt considéré comme quelque chose de folklorique, d’exotique et de joli. J’ai déjà eu une conversation avec une ancienne ministre du Droit des femmes. Lorsque je lui ai demandé pourquoi le niqab et le voile lui posaient problème alors que les femmes africaines qui portent des foulards et sont musulmanes ne la dérangeaient pas, elle m’a répondu : « Ça n’a rien à voir, c’est coloré, c’est joli. » Je me suis dit : « On en est donc là ! »

« Ce que dit Emmanuel Macron, ça ne fait pas du tout rêver »

Autre sujet : Emmanuel Macron. Avec sa sortie sur les kwassa-kwassa, aurait-il pu prétendre aux « Y’a bon awards » ?

Ah oui, c’est sûr ! C’est vraiment le témoignage d’un mépris incroyable. Quand on est président de la République, on ne peut pas rire des drames humains. Déjà, le fait de rire d’un drame aussi grave que la mort de 12 000 Comoriens depuis vingt ans, c’est incroyable. Et après, dire « du » Comorien comme il l’a dit, c’est vraiment une forme de déshumanisation qui montre un manque total de respect. C’est inquiétant.

Bénéficie-t-il d’une certaine mansuétude parce qu’il est jeune et dynamique ?

C’est certain. Déjà, l’émission « Le Quotidien » a changé son propos, l’a adouci. En ce qui concerne Macron, il y a une certaine forme d’indulgence. C’est vrai que si c’était venu de l’extrême droite, ça ne se serait pas passé comme ça.

Les législatives ont eu lieu dimanche. Le PS a été laminé. Est-ce que le mandat de Hollande a été si mauvais ?

Ce fut une catastrophe. Comme la plupart des Français, je considère que ce mandat a été honteux, dans le sens où son élection a été portée largement par des personnes issues des minorités. Et finalement, tout ce qu’il avait promis et qui pouvait toucher ces personnes-là n’a pas été mis en œuvre. C’est vraiment dommage ! Ensuite, il y a eu la mise en place de l’Etat d’urgence, devenu permanent. C’est effrayant. C’est malheureux, les gens ont tellement souffert qu’ils ne veulent plus porter au pouvoir des gens qui vont leur nuire. Et ça n’a pas manqué car, quand on voit ce que dit Emmanuel Macron, cela ne donne plus envie, ça ne fait pas du tout rêver.

Photo : © e.SidneyPaul.

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