Le 8 mars, il est d’usage chaque année, de s’intéresser aux droits des femmes. Parmi eux, il en est qui retiennent souvent plus l’attention que d’autres, ceux des femmes musulmanes. Et en dehors de cette journée particulière, des articles sont régulièrement consacrés aux droits des femmes dans l’islam.
Une fascination pour les femmes musulmanes sur laquelle s’est interrogée Suhaiymah Manzoor-Khan, une jeune britannique de 23 ans d’origine pakistanaise, qui publie régulièrement sur son blog « The Brown Hijabi », des articles de réflexion sur la foi, le féminisme, l’islamophobie, l’ethnicité, la politique…
En novembre dernier, elle était invitée au TEDx Covent Garden Women et s’est justement exprimée au sujet des femmes, adoptant un angle pour le moins original. Le titre de son intervention ? « I’m bored of talking about Muslim Women », « J’en ai assez de parler des femmes musulmanes ».
Dès le début de son passage sur scène, cette étudiante de l’université de Cambridge nous rappelle ces questions si souvent abordées dans les médias et sur internet : Que dis vraiment le Coran à propos du port du hijab ? Qu’est-ce que l’islam dit réellement sur les femmes ? Ce à quoi on pourrait aussi ajouter la traditionnelle question : Peut-on être féministe et musulmane ?
Le harcèlement et les discriminations au travail, les vrais problèmes rencontrés par les femmes musulmanes
Des interrogations légitimes et intéressantes, mais dont la jeune femme se dit lassée. « Beaucoup de femmes parlent des stéréotypes et des préjugés que l’on peut avoir sur les musulmanes. Et je le fais moi aussi. Mais je suis frustrée. Pourquoi des filles comme moi vivant en Occident devons nous toujours s’exprimer sur ce que c’est que d’être une femme musulmane ? », interroge t-elle le public.
Suhaiymah Manzoor-Khan déplore que l’on se focalise toujours sur ce que les femmes musulmanes portent et sur leur corps. Elle estime que l’on en fait des victimes du sexisme, alors même que « le sexisme se croise avec le racisme et l’islamophobie ».
« Parle t-on du harcèlement physique et verbal subi par les femmes musulmanes ? Du chômage et des discriminations qu’elles subissent sur le marché du travail ? », interpelle la jeune femme.
Pour elle, traiter du sujet des femmes musulmanes et de leur émancipation est bien souvent une démarche hypocrite et où sont associés islam et sexisme « comme si le sexisme est un problème musulman alors qu’il est le problème de tous », insiste Suhaiymah Manzoor-Khan dans sa vidéo.
Elle reprend entre autres pour appuyer son propos l’exemple du burkini en France, où à été suggéré implicitement que les hommes musulmans forcent les femmes à couvrir leur corps à la plage et qu’il faudrait paradoxalement pour les libérer, les obliger à se déshabiller.
« En désignant les hommes musulmans comme sexistes, on oublie à quel point c’est toute notre société qui est profondément sexiste »
« En désignant les hommes musulmans comme sexistes, on oublie à quel point c’est toute notre société qui est profondément sexiste. C’est pour cela que je suis fatiguée de parler des stéréotypes sur les femmes musulmanes. Car il y a une plus grande bataille encore à mener », ajoute l’étudiante de la prestigieuse School of Oriental and African Studies, à Londres.
Sur son blog, elle revient sur cette question à travers plusieurs articles, dans lesquels elle détaille plus longuement sa position :
« Les droits des femmes sont au cœur des débats sur la migration et l’islam, car les femmes musulmanes, généralement à travers leurs vêtements, présentent une identité visible en contradiction avec les ‘normes’ occidentales. De cette façon, elles incarnent la question de ‘l’assimilation’ en Occident, qui est confondue avec une ‘émancipation féminine’ réductrice », écrit-elle.
« En rattachant la ‘misogynie’ à l’islam (…) cela libère l’Etat de toute responsabilité dans la lutte contre la misogynie (…) Les échecs sociaux, économiques et politiques de l’État sont également ignorés et même justifiés lorsque les droits des femmes deviennent l’aspect central du débat », continue t-elle.
Elle donne ainsi l’exemple du « Casey Review » sur l’intégration au Royaume-Uni. Un rapport qui plaide pour ‘l’émancipation des femmes dans les communautés où elles sont retenues par des pratiques culturelles régressives’, « confondant clairement les droits des femmes, la religion et la culture, au détriment des barrières liées à la classe, à la race et au sexisme ».
Le World Hijab Day, une journée qui pose question pour Suhaiymah Manzoor-Khan
Pour elle, cette focalisation sur les droits des femmes musulmanes n’est donc pas une préoccupation sincère mais souvent une façon de dépolitiser les problèmes de misogynie et de passer sous silence certaines injustices sociales.
Dans un autre article, elle invite d’ailleurs David Cameron a cesser de vouloir « sauver les femmes musulmanes », notamment dans sa grande campagne d’apprentissage de l’anglais, qui leur était destinée. Celle-ci était censée prévenir la radicalisation et apporter aux femmes musulmanes égalité et émancipation comme toutes autres femmes britanniques.
Enfin, Suhaiymah Manzoor-Khan va encore à contre-courant en se positionnant plutôt contre le « World Hijab Day », chaque 1er février. Cette journée a pour objectif d’inviter les femmes dans le monde à faire l’expérience du port d’un couvre-chef pendant 24 heures pour favoriser la tolérance religieuse.
Mais pour elle, les micro ou macro-agressions dont sont victimes les femmes portant le hijab devraient être entendues et prises en compte, bien avant que celles-ci ne soient subies ou « validées » par d’autres femmes non-musulmanes.
‘Cut From the Same Cloth’, un livre où les femmes voilées expriment leurs préoccupations
« Les femmes musulmanes portant le voile sont toujours l’objet de discussions. Nous sommes disséquées. Nous sommes des cibles, des objets, des symboles de contestation, des produits de l’imagination, mais rarement plus », regrette t-elle.
Mais Suhaiymah Manzoor-Khan entend bien à ce que les femmes musulmanes se réapproprient leur propre parole. Elle et d’autres femmes portant le hijab ont pour projet la parution d’un livre collectif « Cut From the Same Cloth », actuellement en cours de financement sur internet. Bien entendu, dans celui-ci, il ne s’agira pas d’expliquer pourquoi elles portent le voile mais plutôt de révéler leurs inquiétudes et défis au quotidien :
« Ce livre comprendra des témoignages de quinze femmes de classes, d’âges et d’origines diverses, qui regarderont au-delà des tropes épuisés par les médias et offriront un aperçu honnête des problèmes qui affectent véritablement nos vies », est-il résumé.
Un projet de livre que la jeune blogueuse invite donc à soutenir. Elle nous suggère d’ailleurs une idée d’action concrète en ce 8 mars, pour participer activement à la défense des droits des femmes musulmanes.