Erdogan a parfaitement profité de la situation qui lui est tombée dessus comme un cadeau du ciel. Alors que Riyad était en odeur de sainteté à la Maison-Blanche, le prince héritier saoudien a, semble-t-il, commandité la disparition d’un de ses journalistes sans imaginer les conséquences diplomatiques. De quoi, pour Erdogan, en délicatesse avec Washington après une crise monétaire sans précédent, se poser en médiateur.
Le président turc n’est pourtant pas considéré comme un adepte de la liberté de la presse : RSF n’a pas manqué, dans son dernier rapport, de rappeler « la chasse aux médias critiques menée par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan. » L’ONG estime « la Turquie est de nouveau la plus grande prison du monde pour les professionnels des médias » et classe le pays 157e de son classement annuel de la liberté de la presse.
Mais après la disparition, au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, du journaliste Jamal Khashoggi le 2 octobre, la Turquie a coopéré et rapidement enquêté. Le président Erdogan a laissé la presse internationale distiller des informations que la Turquie a fait fuiter au compte-gouttes sur l’assassinat du journaliste. Le président turc est, au final, resté mesuré, n’attaquant pas Riyad jusqu’à ce mardi où il a assuré que le meurtre avait été prémédité. Sans en dire plus.
Erdogan verrait bien Trump lâcher MBS
C’est cependant une façon de mettre à mal la version officielle saoudienne et d’accuser indirectement le prince héritier, jusque là placé sur un piédestal par l’Occident. Pendant deux semaines, les services turcs ont transmis des renseignements à Washington, dont l’identité des quinze membres du commando accusé d’avoir fait disparaître Khashoggi. De quoi réchauffer les relations glaciales entre la Turquie et les Etats Unis.
Quelles conclusions tirer de cette affaire ? Tout d’abord, les intérêts commerciaux entre le royaume wahhabite est des pays comme les Etats-Unis ou la France devraient permettre à l’Arabie saoudite de s’en tirer sans trop de dégâts. Mais le royaume pourrait bien perdre son leadership diplomatique. Au profit de la Turquie ? Ne pas dévoiler les preuves est un bon coup d’Erdogan qui peut tenter de convaincre les Etats-Unis de lâcher MBS.
Erdogan pourrait alors imposer son pays comme leader dans la région ou au moins vis-à-vis de la communauté musulmane mondiale. « La Turquie est le seul Etat capable de conduire le monde musulman », a d’ailleurs indiqué le président turc à ses muftis, le 15 octobre dernier. L’Arabie saoudite hors-jeu, les Emirats arabes unis et l’Egypte décriés, un nouveau leadership d’Ankara permettrait même de relancer les négociations américaines avec l’Iran et le Qatar. Mais on en est encore loin. En attendant, Erdogan sort grandi de cet épisode.