Auteure de « La revanche de l’homme blanc » (éditions Textuel), qui sort ce 17 janvier 2018, Marie-Cécile Naves revient sur la dernière polémique liée aux propos de Donald Trump sur Haïti et les pays africains.
LeMuslimPost : Que dit la polémique sur les « pays de merde » ?
Marie-Cécile Naves : L’expression qu’aurait utilisée le président Trump est « shithole countries », qu’on peut traduire littéralement par « pays de merde », « pays de chiottes » ou « trous perdus ». Il est important de ne pas euphémiser le langage de Donald Trump lorsqu’on le traduit, car la vulgarité, qui est une de ses marques de fabrique, participe de sa stratégie rhétorique populiste consistant à se montrer comme proche des classes populaires à faible capital culturel, lesquelles ne s’embarrasseraient pas d’un vocabulaire élaboré.
Les propos et sous-entendus racistes sont une constante chez Trump, ils font partie intégrante de son projet identitaire pour les Etats-Unis, destiné à séduire les angry white men, dont on a souvent parlé, qui ne constituent pas l’essentiel de son électorat mais dont il a besoin pour garder un socle de partisans et dont le vote est décisif dans certains swing states cruciaux, pour les midterms de novembre et peut-être pour la présidentielle de 2020.
En termes de racisme, qui sont les cibles favorites de Donald Trump ?
Toutes les minorités « raciales », ethniques et religieuses selon son agenda, mais surtout les Africains-Américains et les populations hispaniques ou d’origine hispanique (car beaucoup ont la nationalité américaine, notamment les jeunes). Les insultes (« fils de pute ») à l’encontre des footballeurs noirs et les propos dégradants sur les immigrés mexicains (« violeurs, voleurs », entre autres) le montrent. Au-delà des mots, sa remise en cause de la Deferred Action for Childhood Arrivals (DACA), qui protège les immigrés clandestins arrivés aux Etats-Unis alors qu’ils étaient mineurs, en est un autre indice. On sait par ailleurs qu’une remise en cause de l’affirmative action pour l’accès aux universités est en projet.
Sans oublier les musulmans, dont il aimerait leur interdire d’immigrer aux Etats-Unis, ce qui, constitutionnellement, est impossible, mais les procédures judiciaires et juridiques sur les travel bans (surnommées muslim bans) ne sont pas terminées. Il a plusieurs fois fait l’amalgame entre islam, islamisme et djihadisme, comme certains ténors du parti républicain pendant les deux mandats d’Obama. J’ajoute qu’il les utilise aussi pour se dédouaner de toute forme de sexisme et d’homophobie, comme au lendemain de l’attentat dans la boîte de nuit gay d’Orlando en 2016. C’est un classique, qu’on connaît aussi en France, et que le sociologue Eric Fassin nomme la « démocratie sexuelle ».
Lors de la campagne présidentielle, on avait appris que Trump avait déclaré : « Des Noirs qui comptent mon argent ? Je déteste l’idée. Les seules personnes que je veux voir compter mon argent sont des hommes petits portant la kippa tous les jours. » Trump représente-t-il l’Américain moyen qui succombe à tous les clichés les plus bas ?
Voilà réactivés de vieux préjugés antisémites (les juifs seraient cupides et reconnaissables physiquement), doublés de préjugés racistes, bien connus eux aussi (les Noirs seraient des assistés et/ou des voleurs). On sait que les politiques racistes (de la discrimination à la violence physique) commencent toujours par des mots.
Je crois néanmoins que l’Américain « moyen » n’existe pas, et que la grande majorité des citoyens des Etats-Unis ne sont pas racistes. Une petite frange d’entre eux l’est, ouvertement, et est sensible aux discours des suprémacistes, néo-nazis et autre Ku Klux Klan. Une autre partie, plus importante, a du mal avec la réalité multiculturelle et migratoire et n’a jamais accepté d’avoir un président noir. Mais ce n’est pas représentatif de la société américaine dans son ensemble.
Ceci dit, Trump s’est en grande partie engagé dans la bataille de la présidentielle, d’une part parce qu’il voulait sa revanche sur l’humiliation qu’Obama lui a fait subir en 2011 lors du dîner des correspondants de presse (on rappelle que Trump est l’une des personnes à l’origine du complot sur la prétendue nationalité étrangère d’Obama, et ce dernier s’est moqué de ce complot lors de ce dîner), et, d’autre part, parce qu’il a compris à ce moment-là l’instrumentalisation qu’il pouvait faire du sentiment raciste ou opposé au pluralisme culturel et ethnique qui empoisonne une partie des Etats-Unis. Il y a donc une part non négligeable d’opportunisme dans le projet et le discours racistes de Trump.
Même lorsqu’il était simple bailleur, il a été dit ici que Donald Trump faisait de la discrimination anti-Noirs… Le racisme de Trump n’est pas nouveau ?
En effet, cette histoire refait régulièrement surface et n’est pas à mettre à son crédit. De toute façon, il est très difficile de croire que Trump n’adhère pas au moins en partie à l’idée qu’il faut défendre la « race blanche » (et plus précisément les hommes blancs) face à la diversité. Son attitude suite aux violences racistes de Charlottesville, l’été dernier, laissent peu de doutes là-dessus. On le voit aussi par l’iconographie, très travaillée, qui met en scène sur des photos officielles des hommes blancs autour de lui (quand il signe un décret, etc.)
On a vu Trump rendre hommage à Martin Luther King au lendemain de ses propos rapportés sur les « pays de merde. » Une opération de rattrapage ?
C’était une coïncidence du calendrier ; le 15 janvier était le « Martin Luther King’s day », célébré tous les ans à cette période. Cette scène était irréelle et on sentait qu’il s’agissait d’un passage obligé pour le président. Pas de rattrapage, donc, juste un clin d’œil du calendrier.
« Je ne suis pas raciste. Je suis la personne la moins raciste que vous ayez jamais interviewée, je peux vous le dire. » Trump serait-il persuadé de ne pas être raciste ?
On peut être raciste en actes et même en paroles, sans oser le dire avec ces mots-là. Jean-Marie Le Pen aussi disait, dans les années 1980, qu’il n’était pas raciste, ajoutant du reste — je l’ai entendu en interview — : « la preuve, mon personnel de maison est noir », ce qui ne manque pas de sel.
Plus loin que les « petites phrases » de Trump, y a-t-il une complaisance du président américain à l’égard de l’extrême droite ?
Oui, sans nul doute. Lorsqu’il dit, en août 2017, qu’il y a « des gens bien » chez les suprémacistes blancs, lorsqu’il relaie un tweet du complotiste d’extrême droite Jack Posobiec, qui reprochait à la presse de ne pas assez relayer les violences urbaines à Chicago (sous-entendu : par rapport à Charlottesville), lorsqu’il gracie Joe Arpaio, personnage ouvertement raciste, surnommé le « shérif de la peur » ou le « shérif le plus dur d’Amérique », condamné pour avoir violé l’injonction d’un juge lui interdisant de mettre en place des patrouilles racistes contre les clandestins, et pour ne pas avoir respecté les droits de centaines de milliers d’Hispaniques, Trump donne de nombreux gages aux racistes.
Il suit une stratégie délibérée : cliver la société américaine tout en accusant ses adversaires et les médias de générer ce clivage. Comme à l’international, sa stratégie est celle du chaos.
Au-delà des quelques dizaines de milliers de militants suprémacistes, c’est aux nombreux soutiens de la défense d’une identité blanche et chrétienne (et patriarcale) de l’Amérique que Trump s’adresse. Ceux qui se voient comme les perdants de la mondialisation économique et culturelle et comme les laissés pour compte des évolutions démographiques des Etats-Unis. Trump rouvre la fracture « raciale ». Un jeu dangereux, que toutes les extrêmes droites occidentales ont pu adopter. Cette légitimation du racisme annonce-t-elle une série de nouvelles mesures liberticides ? On peut le penser.