Depuis plusieurs années, la cuisine israélienne s’est appropriée des plats palestiniens mais aussi syriens ou maghrébins. Un « vol » culinaire qui participe à la colonisation…
Ce dimanche, France Culture proposait une émission consacrée aux « saveurs israéliennes ». En introduction, la radio explique : « Le houmous, le labneh, le zaatar, le sumac, sont autant de saveurs que les Français apprécient désormais, et dans les familles, on s’échange les recettes du chef israélien installé à Londres Yottam Ottolenghi dont les livres sont des best-sellers dans l’Hexagone ». Avec deux questions osées : ces saveurs « ont-elles une identité simple ou multiple ? Comment la cuisine en Israël a-t-elle évolué et comment intègre-t-elle toutes les influences qui la composent ? »
Une appropriation culturelle — et culinaire — en bonne et due forme. Dans Middle East Eye, le professeur d’université Joseph Massad raconte comment, dans un restaurant de Manhattan, un couscous lui a été présenté comme israélien. Un vol de l’identité palestinienne et du maftoul local. « Israël est devenu une partie de la région par le biais d’une conquête coloniale. La plupart des Arabes s’indignent à juste titre de voir leurs spécialités et leur cuisine faire partie intégrante des efforts de colonisation israéliens », écrit l’universitaire.
Le vol de l’héritage palestinien
Certes, il serait malhonnête de penser que les Israéliens n’ont pas hérité de certaines traditions palestiniennes ou des pays d’origine de juifs tunisiens, marocains ou algériens exilés en Israël. Comme l’écrit le New York Times, « à travers la cuisine de leurs voisins palestiniens, les juifs israéliens ont trouvé un lien avec la terre et leurs ancêtres ». Mais est-ce pour autant une raison de s’approprier les plats et de les affubler de l’adjectif « israélien » ?
Le chef israélien Yotam Ottolenghi, qui a coécrit un livre avec le Palestinien Sami Tamimi, assure que c’est un droit. Il prend ainsi l’exemple du houmous, « sujet hautement explosif » selon lui, qui « est indéniablement un aliment de base de la population palestinienne locale, mais il était aussi une constante des tables de repas des juifs alépins qui ont vécu en Syrie pendant des millénaires et sont ensuite arrivés à Jérusalem dans les années 1950 et 1960 ». Le chef demande « Qui mérite le plus de s’approprier le houmous ? » Et sa réponse est étonnante : « Personne ne ‘possède’ un plat, car il est très probable que quelqu’un d’autre l’ait préparé avant, et quelqu’un d’autre encore avant ».
Sauf que, concernant l’État hébreu, la colonisation passe par le vol culinaire. Comme le montre l’exemple de la chakchouka qui, depuis le milieu des années 2010, ne cesse d’être présentée comme un plat israélien. Joudie Kalla, auteure d’un livre sur la cuisine palestinienne, résume bien la situation : « Cette cuisine, c’est la dernière chose qui nous reste, alors pas question de nous l’arracher, de nous voler l’héritage de nos mères et grands-mères ». En réponse à Yotam Ottolenghi, elle résume ainsi l’appropriation culinaire : « Le falafel, c’est plus qu’un plat : c’est notre falafel ».