Dans son récit autobiographique, Pascal Boniface revient sur les différentes attaques le visant. La dernière en date ? Celle de Manuel Valls. L’ancien Premier ministre avait assuré, en novembre dernier, que « ce qu’écrit l’universitaire Pascal Boniface depuis des années pose un vrai problème » et indiquait avoir « saisi les ministres des Affaires étrangères et des Armées qui financent l’IRIS de ce sujet. »
LeMuslimPost : Vous sortez « Antisémite », pourquoi ce titre choc ?
Pascal Boniface : J’ai choisi ce titre car c’est une accusation malveillante qui me vise. J’ai voulu y faire face directement pour montrer combien elle était calomnieuse et accablante. Mais aussi pour prendre mes accusateurs à leur propre piège, puisque tous ceux qui font courir ce type de rumeur sur moi seraient bien incapables de trouver la moindre citation antisémite. J’ai voulu aller à contre-pied et répondre point par point à ces accusations.
Dans la préface de votre livre, le sociologue Michel Wieviorka parle de « torrents de boue déversés sur vous depuis quinze ans. » Comment vivez-vous cela en tant qu’universitaire ?
J’ai rarement été embêté dans la communauté universitaire pour cela, parce que les universitaires sont des gens qui se basent sur des faits réels. Il y a peut-être quelques faux universitaires qui m’ont attaqué, mais les vrais universitaires, eux, citent leurs sources et vérifient leurs propos. D’ailleurs, Michel Wieviorka est président de la Fondation maison des sciences de l’homme, j’ai voulu avoir son regard d’universitaire sur ce qui s’est passé.
« J’ai toujours lutté contre toute forme de racisme »
Et en tant qu’homme ?
En tant qu’homme, c’est plus compliqué, car l’accusation d’antisémitisme est lourde à porter. Elle m’atteint doublement, puisque j’ai toujours lutté contre toute forme de racisme. Être accusé de quelque chose que vous combattez, c’est une double peine. Professionnellement, j’ai maintes fois souffert de cela parce que la rumeur me précédait et j’ai certainement été extrêmement pénalisé, comme je le raconte dans le livre.
D’où vient cette accusation récurrente d’antisémitisme à votre égard ?
Elle vient à l’origine d’une note que j’avais faite sur le Proche-Orient lorsque j’étais membre du Parti Socialiste, dans laquelle je disais que l’attitude du PS par rapport au conflit au Proche-Orient n’était pas équilibrée, puisqu’il mettait sur le même plan l’occupant et l’occupé. Etant de gauche, nous devions normalement faire la part des choses. C’est à partir de là que mes problèmes ont commencé : ceux qui font de la défense d’Israël une priorité utilisent l’arme d’accusation d’antisémitisme pour disqualifier ceux qui critiquent. Non pas d’ailleurs Israël comme Etat, mais l’action politique du gouvernement israélien.
Dans certains cercles oui, dans d’autres non, effectivement. C’est pour cela que beaucoup de gens refusent de s’exprimer sur le sujet, parce qu’ils ont trop peur d’être accusés d’antisémitisme. Il y a des gens qui continuent à faire leur métier de journaliste, d’universitaire, d’homme politique, qui parlent librement. Et puis, il y en a d’autres qui renoncent à le faire par peur de ce type de représailles.
André Schmer, juif et ancien résistant, écrivait, suite à l’accusation de la part de Frédéric Haziza à votre encontre : « En 1941, j’avais 13 ans, je sais ce qu’est l’antisémitisme. » Est-on en train de dévoyer ce terme en accusant à tort et à travers ?
Oui, bien sûr, on peut penser qu’il y un danger à dévoyer la lutte contre l’antisémitisme en accusant d’antisémitisme des gens qui luttent contre l’antisémitisme et qui peuvent être critiques à l’égard du gouvernement israélien. Il y a effectivement un danger à banaliser l’antisémitisme. Il y a un danger à noyer l’accusation d’antisémitisme, à se tromper de cible et ne plus faire la distinction entre ceux qui critiquent le gouvernement israélien et ceux qui critiquent les juifs.
« Que Manuel Valls puisse demander que l’on ferme un centre de recherche car ses positions lui déplaisent est ahurissant »
Comment avez-vous pris la phrase de Manuel Valls qui veut couper les financements de l’IRIS et quelle proportion a pris cette polémique ?
Apparemment, les ministères n’ont pas tenu compte de sa demande. Mais le fait que, dans une démocratie, il ait pu faire une telle demande m’a totalement abasourdi. Qu’un homme politique de premier plan puisse demander que l’on ferme un centre de recherches car, sur un conflit extérieur, les positions de son directeur lui déplaisent, c’est proprement ahurissant. Alors, il y a eu un soutien unanime du Conseil d’administration mais aussi des salariés de l’IRIS qui se sont sentis agressés par ces propos. On peut comprendre que ce genre de chose se passe en Corée du Nord ou en Biélorussie, mais pas en France.
Vous avez longtemps été attaqué par la fachosphère, aujourd’hui par ce qu’on appelle « la bande à Valls ». Comment expliquer cette évolution ? Ce n’est pas très Charlie…
C’est toujours le cas. C’est d’autant plus ahurissant que Manuel Valls a été membre du conseil d’administration de l’IRIS, que je le connais depuis trente-sept ans, qu’on a toujours eu de bonnes relations. Je n’ai pas compris. Disons qu’il a fait un choix politique pour marquer cela, j’ai donc été une cible indirecte, mais je n’ai pas du tout compris ce changement. Il a dit que j’avais tenu des propos qui sont inadmissibles, mais toujours sans citer ces propos. Qu’il se soit dévoyé à saisir les ministères pour faire interdire un centre de recherches qui est reconnu en France comme à l’étranger, ça me laisse perplexe et sans voix. On peut réellement parler de radicalisation.
Vous dites que des hommes politiques de premier plan qui vous soutenaient vous accusent désormais publiquement sous la pression des lobbies. De quels lobbies parle-t-on ?
Je parle d’un lobby pro-israélien qui est composé de gens d’origines tout à fait diverses, mais qui font de la défense du gouvernement israélien un principe absolu.
Avez-vous vu des portes se fermer depuis plusieurs années ?
Enormément ! J’avais des tribunes dans des journaux qui ont été supprimées, des gens du conseil d’administration sont partis, des contrats n’ont pas été renouvelés et des médias qui m’accueillaient auparavant me sont désormais fermés.
« L’amalgame entre antisémitisme, antisionisme et critique du gouvernement israélien est regrettable »
Même un Emmanuel Macron ou Edouard Philippe n’hésitent plus à amalgamer antisionisme et antisémitisme. Comment en est-on arrivé là ?
C’est effectivement curieux car se sont deux notions totalement différentes. L’antisémitisme d’une part, l’antisionisme de l’autre et la critique du gouvernement israélien sont trois choses totalement différentes qui ne doivent pas être amalgamées. Et c’est vraiment très regrettable qu’elles le soient.
Peut-on encore parler du conflit au Proche-Orient en France ? La France est-elle toujours, comme vous l’écriviez, « malade du conflit israélo-palestinien » ?
Cela empire, ce livre en est la preuve, cet amalgame entre antisémitisme et antisionisme aussi, le fait qu’un ancien Premier ministre puisse demander la fermeture d’un centre de recherche car il critique la politique d’un gouvernement étranger… Oui, on peut aisément dire que les choses s’aggravent. Ce problème est propre au monde occidental, mais il est beaucoup plus aigu en France et aux Etats-Unis. Par exemple, en Belgique, le débat sur ces questions-là est beaucoup plus ouvert qu’en France.
Est-il encore possible de critiquer la politique israélienne, sans être taxé d’antisémite ?
C’est de plus en plus difficile. A l’inverse, il y a quelques partisans de la cause palestinienne qui peuvent, eux, baigner réellement dans l’antisémitisme même s’ils sont peu nombreux et qu’ils ne sont pas en contact avec les organisations qui réclament la création d’un Etat Palestinien. Effectivement, la radicalisation des uns nourrit la radicalisation des autres. Et dans la mesure où les partisans d’Israël tentent d’interdire un débat sur cette question en France, le risque qu’il passe par des voix beaucoup plus nauséabondes existe.