Donald Trump a finalement mis sa promesse de campagne à exécution en signant un décret qui interdit aux ressortissants de sept pays musulmans d’entrer aux Etats-Unis. Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et spécialiste des droites américaines, à qui l’on doit « Trump, l’Onde de choc populiste » (aux éditions FYP), revient sur cette mesure et sur l’indignation mondiale.
LeMuslimPost : Le décret a eu un effet immédiat alors qu’on aurait pu s’attendre à ce que cette décision passe avant devant le Congrès ou la Cour suprême des États-Unis…
Marie-Cécile Naves : Les « executive orders » ont un effet immédiat, mais certains ont plus de portée concrète que d’autres. Ainsi, celui appelant à la construction du mur le long de la frontière mexicaine est surtout symbolique, car le Congrès devra voter le financement d’une telle mesure, et rien ne dit qu’il le fera. Ils s’appuient sur un arsenal législatif existant — ils ne peuvent en soi contredire une loi en vigueur — et, surtout, ils ne doivent pas violer la Constitution. Le Congrès ne peut pas revenir sur un décret présidentiel, il peut voter une loi qui le rend caduc a posteriori, mais cela ouvrirait une période de défiance très forte avec le président, surtout quand il est du même bord politique comme c’est le cas aujourd’hui. Dès lors, on attend les décisions des tribunaux fédéraux et de la Cour suprême, mais a posteriori, car il faut que le cas soit porté devant eux. Trump a fait un « deal » avec les ultra-conservateurs : « Je vous donne le retour en arrière que vous voulez sur les droits des femmes et l’environnement, laissez-moi agir sur la fermeture des frontières. » On verra si ça tient, mais du côté de la gauche et des défenseurs des droits civiques, la fronde s’amplifie.
LeMuslimPost : L’expulsion des réfugiés venant de ces sept pays est pour le moment bloquée par une juge fédérale de New York. Doit-on s’attendre à des expulsions à court-terme ?
Marie-Cécile Naves : Une partie du décret a déjà été infléchie par un tribunal fédéral et la Maison-Blanche est en train de revenir sur le texte pour en exclure de sa portée les détenteurs d’une carte verte. Ce décret est en train de provoquer un chaos dans le monde entier puisque des centaines de milliers de gens ayant la double nationalité, en attente — légale — de nationalité américaine ou travaillant ou étudiant légalement aux USA sont potentiellement concernés. La promesse du « cas par cas » ne rassure personne. Je ne pense pas que des gens vivant légalement aux USA en soient expulsés, sauf peut-être s’ils ont un casier judiciaire — c‘était une promesse de Trump pendant la campagne pour les clandestins mexicains —, mais c’est difficile de savoir.
LeMuslimPost : L’Iran fait partie de la liste des sept pays. Cette décision sonne-t-elle la fin de l’accord nucléaire avec l’Iran ?
Marie-Cécile Naves : Ce sont deux choses différentes mais ce qui est sûr, c’est que la confiance est mise à mal — l’Iran a ainsi annoncé la réciprocité du « Muslim Ban » pour les citoyens américains —, bien que les relations diplomatiques entre les deux pays n’aient pas été rétablies. Trump fragilise considérablement l’équilibre des forces, certes précaire, au Moyen-Orient, et il n’est pas dit que des mauvaises relations USA-Iran plaisent à la Russie. En fait, Trump, avec ce décret, envoie un message de division, de haine antimusulmans — donc de racisme, soyons clairs —, sous couvert de se présenter en homme fort. Il instaure une diplomatie de la défiance, mais il réussit surtout à consterner le monde entier. Or, ce décret semble pour le moins peu préparé en amont avec l’administration. Trump raisonne à court terme, là est le danger.
« Le ‘Muslim Ban’ démontre l’incompréhension et le déni absolus de Trump du monde tel qu’il est vraiment »
LeMuslimPost : Les patrons de Google et Facebook sont montés au créneau pour dire leur indignation. Est-ce que ce décret peut avoir un impact économique — positif ou négatif — sur les Etats-Unis ?
Marie-Cécile Naves : L’impact économique négatif est déjà là : des hommes d’affaires, des étudiants, des employés ne peuvent plus retourner aux USA ou hésitent à en sortir de peur de ne plus pouvoir revenir. De plus, il est évident que Trump va décourager certains investissements étrangers. Enfin, une grande partie du monde du big et du small business, d’une part, a besoin des immigrés comme salariés et comme consommateurs, et d’autre part ne veut pas être associée à ce racisme d’Etat. L’image des Etats-Unis dans le monde est en train de se dégrader rapidement.
LeMuslimPost : Le fait que Trump n’ait pas mis, sur cette liste, les pays avec lesquels ses sociétés collaborent, est-ce logique ?
Marie-Cécile Naves : Ça dépend des bases juridique du décret mais il est évident que les liens des entreprises Trump — ou des proches de Trump dans le monde du business — avec les pays du Golfe ont joué. Le Pakistan et l’Afghanistan n’y sont pas non plus, ce qui est surprenant dès lors qu’on parle de terrorisme islamiste.
LeMuslimPost : On parle de « Muslim Ban », mais pour certains, cette décision n’est liée qu’à la situation des sept pays concernés. Qu’en pensez-vous ?
Marie-Cécile Naves : L’expression me semble bonne car il est évident que c’est une décision qui dit aux musulmans du monde entier : « Vous n’êtes pas les bienvenus aux Etats-Unis parce que vous êtes musulmans » — il n’y a qu’à voir l’exceptionnalité pour les réfugiés chrétiens. De plus, on peut s’attendre à des mesures supplémentaires à venir contre l’Islam. Ce « Muslim Ban » démontre à lui seul l’incompréhension et le déni absolus de Trump du monde tel qu’il est vraiment : multiculturel, pluriel, fluide.
