Selon le New York Times, le jeune et puissant dirigeant du royaume, surnommé « MBS », avait dit en 2017 à un proche conseiller, Turki Al-Dakhil, qu’il utiliserait « une balle » contre le journaliste saoudien s’il ne rentrait pas en Arabie saoudite et ne mettait pas en sourdine ses critiques à l’égard du régime.
Cette conversation, qui date de septembre 2017, soit un an avant le meurtre, a été interceptée par le renseignement américain, rapporte le quotidien, citant des responsables américains et étrangers.
Le 2 octobre, Jamal Khashoggi, qui collaborait notamment avec le Washington Post et résidait aux Etats-Unis, a été tué et démembré dans le consulat de son pays à Istanbul par un commando d’agents saoudiens venus depuis Ryad.
Le 10 octobre, un groupe de sénateurs américains, républicains et démocrates, ont activé une loi qui oblige Donald Trump à dire au Congrès, dans un délai de 120 jours qui prend fin vendredi, quels ressortissants étrangers il considère responsables de cet assassinat — et à prendre, le cas échéant, des sanctions à leur encontre.
Interrogé sur cette obligation légale, le porte-parole de la diplomatie américaine Robert Palladino a répondu jeudi que le gouvernement américain avait déjà sanctionné mi-novembre 17 responsables saoudiens. « Je n’ai rien à ajouter aujourd’hui », a-t-il dit, semblant minimiser cette date-butoir, tout en assurant vouloir « continuer à travailler avec le Congrès » dont il partage « l’indignation ».
Or parmi ces 17 personnes sanctionnées, aucun haut dirigeant saoudien n’a été mis en cause, alors que le Sénat américain, pourtant contrôlé par le camp républicain du président, a adopté par consentement unanime une résolution jugeant le prince héritier « responsable » du meurtre.
Des sénateurs passent à l’acte
L’administration Trump affirme ne pas disposer de preuve irréfutable de l’implication directe du dirigeant saoudien, bien que les sénateurs, après avoir été informés à huis clos à l’automne des conclusions de la CIA, aient assuré avoir été confortés dans leur mise en cause du prince héritier.
La rapporteure spéciale de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires a de son côté affirmé jeudi détenir des « preuves » montrant que le meurtre avait été « planifié et perpétré par des représentants de l’Etat d’Arabie saoudite ».
Ryad dément catégoriquement toute responsabilité de Mohammed ben Salmane, et l’administration Trump a clairement fait savoir que l’alliance « stratégique » avec l’Arabie saoudite était, quoi qu’il en soit, prioritaire.
Lors d’une rencontre jeudi à Washington, le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo et le ministre d’Etat saoudien aux Affaires étrangères Adel al-Jubeir « sont convenus de l’importance de voir l’Arabie saoudite poursuivre ses investigations » de « manière transparente » pour que « toutes les personnes impliquées rendent des comptes », selon le département d’Etat.
« Le président Trump donne clairement plus de poids à la parole d’un dictateur étranger qu’à ses propres agences de renseignement », a déploré le vice-président de Human Rights First, Rob Berschinski, dans un communiqué commun avec cinq autres organisations de défense des droits humains et de la liberté de la presse. « Il revient au Congrès d’agir », a-t-il insisté, appelant à des « mesures concrètes immédiates pour faire avancer la justice ».
Au Sénat, un groupe d’élus des deux bords politiques a présenté jeudi une proposition de loi pour interdire notamment certaines ventes d’armes à l’Arabie saoudite, en raison du meurtre du journaliste mais aussi du rôle controversé de Ryad dans « le conflit dévastateur au Yémen ».
Pour « éviter que le président Trump mette sous le tapis le meurtre de M. Khashoggi », « le Congrès doit désormais prendre ses responsabilités et imposer des mesures pour réexaminer radicalement nos relations avec le Royaume d’Arabie saoudite », a déclaré le sénateur démocrate Bob Menendez.
Selon son collègue républicain Lindsay Graham, souvent proche des positions de Donald Trump, « si l’Arabie saoudite est un allié stratégique, le comportement du prince héritier, à plusieurs titres, a manqué de respect à cette relation, ce qui le rend (…) plus que toxique ».
Un silence incompréhensible, déplore Erdogan
Par ailleurs, dimanche dernier, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré ne pas comprendre le « silence » des Etats-Unis sur le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.
« Je n’arrive pas à comprendre le silence de l’Amérique (…) Nous voulons que tout soit éclairci parce qu’il s’agit d’une atrocité, il s’agit d’un meurtre », a dit M. Erdogan dans un entretien télévisé, ajoutant : « le meurtre de Khashoggi n’est pas un meurtre ordinaire ».
Le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo, en tournée au Moyen-Orient mi-janvier, avait affirmé avoir obtenu des assurances de Ryad dans cette affaire, tout en réaffirmant l’alliance stratégique avec l’Arabie saoudite.
Khashoggi, qui écrivait notamment pour le Washington Post et se montrait critique envers Ryad, a été tué le 2 octobre dans le consulat d’Arabie à Istanbul. La Turquie affirme qu’il a été étranglé par une équipe de 15 Saoudiens.
Son corps n’a toujours pas été retrouvé.