Mise à jour, le 14 novembre 2018 à 11h50 : Suite à la polémique, le vice-président et représentant légal de l’association Licra Tunisie, Amine Jelassi, a annoncé sa démission de l’organisation. Il affirme, dans un post Facebook, qu’il « ne connaissait pas la nature de la relation de l’Association française avec l’entité sioniste. » La veille, il déclarait que la LICRA Tunisie était « une association nationale tunisienne et non une filiale d’une association étrangère. » Il a conclu son post par : « Vive la Palestine ! »
En juillet 2018, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) annonçait sur son site être « implantée à Genève, à Barcelone, à New-York, en Autriche, au Cameroun, en Tunisie. » Concernant ce dernier pays, l’association avait été enregistrée en janvier dernier. Mais la LICRA a attendu ce week-end pour officialiser le lancement de son antenne tunisienne. Un événement qui a fait tellement de bruit en Tunisie que la LICRA française, qui avait publié un article sur son site, l’a finalement supprimé, à la demande du président tunisien Achref Sallami, selon la presse locale.
Du refus de reconnaître l’islamophobie à une implantation dans un pays musulman
Il faut dire que l’association qui lutte contre les « propos racistes ou antisémites tenus dans la presse, à la télévision et à la radio » a quelques casseroles en cuisine. Et pas des moindres : la LICRA refuse de reconnaître l’islamophobie, par exemple. Pour l’association, « l’utilisation du terme ‘islamophobie’ a induit une dérive dramatique dans la lutte contre le racisme en institutionnalisant l’idée absurde que critiquer une religion constitue un acte de racisme. » En novembre 2016, son ancien président, Alain Jakubowitz, affirmait que l’islamophobie est une « imposture. » Un an plus tard, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme faisait annuler un colloque universitaire sur le thème de l’islamophobie. « Que cette Licra milite, activement, pour que le mot ‘islamophobie’ soit banni du vocabulaire public est une catastrophe notable, politique et idéologique », résume le journaliste Claude Askolovitch.
Sans reconnaître l’islamophobie, donc, la LICRA vient s’installer en terre d’Islam. Avec un premier objectif : « protéger les minorités. » Forcément, on s’attendait donc à ce que la LICRA Tunisie annonce participer à la lutte contre la négrophobie après le vote d’une loi de pénalisation du racisme récemment. Un fléau dans le pays : les Noirs sont entre 800 000 et 1,2 million en Tunisie et les actes racistes à leur encontre sont fréquents. Mais non, la LICRA Tunisie a préféré annoncer qu’elle protègerait « la communauté juive, les chrétiens et les bahaïs. » Si, comme partout ailleurs, l’antisémitisme est réel en Tunisie, la nomination de René Trabelsi au poste de ministre du Tourisme montre bien que l’antisémitisme n’est pas institutionnel — là où on aurait pu attendre, enfin, un ministre noir. Les chrétiens, eux, ne sont pas particulièrement persécutés en Tunisie. Quant aux 150 bahaïs, peu de Tunisiens ont entendu parler de cette religion. Preuve, s’il en fallait, que la Licra tente de hiérarchiser le racisme en occultant la réalité du terrain.
« A quand une antenne du CRIF à Tunis ? »
Mais le rapport à Israël qu’entretient la LICRA est sans doute le point qui fait le plus scandale en Tunisie. L’association ne cesse en effet de s’attaquer à BDS et aux militants palestiniens en les accusant systématiquement d’antisémitisme. A ce propos, le chercheur Pascal Boniface estime que « le traitement de la question du racisme et de l’antisémitisme est extrêmement problématique » au sein de la LICRA qui, écrivait-il fin 2015, « privilégie la défense d’Israël à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. » Implanter une antenne dans un pays qui ne reconnaît pas Israël pose donc forcément problème.
D’autant que la LICRA a tenté de recruter plusieurs membres, comme le membre de la Commission sur les libertés individuelles et l’égalité (Colibe), Slim Laghmani, en promettant une lutte contre le racisme sans expliciter qu’il s’agirait de la LICRA. En mal d’adhérents, la LICRA Tunisie tente donc de faire le plein de soutiens. Quitte à flirter avec la manipulation. Dans un mail envoyé à Corinne Lahmi, fondatrice de la LICRA Tunisie, Yamina Thabet, la présidente de l’Association tunisienne de soutien aux minorités (ATSM), qui fait déjà un travail depuis plusieurs années sur la question des racismes, rappelle qu’elle n’a pas participé à la création de la LICRA Tunisie et indique que toute utilisation de son nom, « comme c’est le cas maintenant, motivera une réaction de la part de (ses) avocats. »
La LICRA, dans les années 1950 et 1960, s’appelait la LICA (Ligue internationale contre l’antisémitisme) et qui demeurait alors « attachée à la défense des juifs et de l’Etat d’Israël », rappelle Causeur. En 2002, la LICRA avait attaqué Daniel Mermet, animateur et producteur de l’émission quotidienne « Là-bas si j’y suis » sur France Inter, pour avoir publié des témoignages anti-israéliens de la part de Palestiniens. S’implanter en Tunisie pourrait conduire à la même politique : faire taire toute critique d’Israël et l’assimiler, de fait, à de l’antisémitisme. De quoi faire ironiser un journaliste tunisien qui, dans une lettre ouverte, pose la question : « A quand une antenne du CRIF à Tunis ? »