L’indignation. Voilà le sentiment qu’éprouvent les 137 intellectuels qui, dans une tribune publiée dans Le Monde, demandent des comptes à la Sorbonne. La chercheuse Lila Lamrani devait rejoindre l’antenne d’Abu Dhabi de la célèbre université, en tant que directrice du département de philosophie et sociologie. Alors qu’elle était prête à s’installer aux Emirats arabes unis, ce poste lui a finalement été refusé. Sans qu’aucune raison ne soit avancée. Mi-août, deux semaines après avoir signé une promesse d’embauche, la chercheuse s’est vu notifier le retrait du poste, parce que « les démarches administratives auprès des autorités émiraties n’auraient pas abouti », peut-on lire dans la tribune du Monde.
Qu’a-t-il bien pu se passer entre fin juillet et mi-août ? Le « security clearance », l’enquête administrative menée sur Lila Lamrani, aurait abouti à une fin de non-recevoir après que l’université française avait estimé qu’elle était la candidate la mieux placée pour ce poste. « Je suis une femme, d’origine algérienne, j’ai présidé l’association pour la Palestine à l’ENS, je travaille sur l’herméneutique du Coran… », tente d’expliquer la chercheuse au quotidien du soir comme pour tenter de trouver une explication. « Je ne peux faire que des suppositions », indique-t-elle à l’AFP, attendant toujours un courrier de la part d’Abu Dhabi.
Les intellectuels signataires d’une tribune estiment que « cette décision contrevient donc à celle qui a été actée par le conseil d’administration hors de toute démarche régulière » et indiquent que « tout porte à croire qu’elle a été le fruit de pressions extérieures à l’université. » Mais de quelles pressions parle-t-on ? Impossible pour le moment d’en savoir plus, mais les soutiens de Lila Lamrani s’étonnent : « Une institution universitaire française peut-elle légitimement se laisser imposer un tri au sein de son personnel élu sans la moindre explication ? N’est-ce pas là une entorse grave à la méritocratie républicaine dont la Sorbonne est censée être l’incarnation en France et à l’étranger ? », demandent-ils ?
Des Américains ont d’ailleurs vécu les mêmes événements, si bien que, outre-Atlantique, des universitaires ont appelé à boycotter l’institution émirienne. Lila Lamrani a-t-elle, de son côté, été victime de « censure idéologique » ? Romain Caillet, consultant sur les questions islamistes, laisse penser que les réseaux de Lila Lamrani, qui « font apparaître une proximité idéologique avec l’extrême-gauche (Philippe Poutou) et la mouvance des Indigènes de la République » a pu entrer en ligne de compte. « Si cette ingérence des Emirats dans une nomination à la Sorbonne d’Abu Dhabi se confirme, cela remettrait en cause son indépendance dans le choix des enseignants et donc leur compétence car ces derniers ne seraient plus évalués selon des critères scientifiques mais idéologiques », déplore l’expert.