Il y a, au sein de la Ligue arabe, un air d’Arabie Saoudite qui flotte. En pleine crise du Golfe et alors que le royaume wahhabite multiplie les piques envers Téhéran, c’est le Hezbollah qui est dans le collimateur : après avoir fait démissionner le Premier ministre libanais en lui disant clairement que le Hezbollah avait trop d’influence dans son pays, Riyad a montré qu’elle ne lâcherait rien à l’organisation chiite. Devenu un acteur incontournable dans la région, le Hezbollah est désormais la cible de la Ligue arabe.
La souveraineté (perdue ?) du Liban en question
Lors d’une réunion extraordinaire de l’organisation arabe au Caire — expressément demandée par Riyad —, c’est le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Jubeir qui a engagé les hostilités contre l’Iran et ses « agents », comprenez le Hezbollah. En cause, un missile balistique que l’armée d’Arabie Saoudite aurait intercepté début novembre en provenance du Yemen. Celui-ci serait de fabrication iranienne, selon le royaume wahhabite. Téhéran affirme que non.
Lors de la réunion, Sheikh Khaled ben Ahmad Al-Khalifa, ministre des Affaires étrangères de Bahreïn, a déploré le « contrôle total » du Hezbollah par l’Iran et indiqué que « ce parti terroriste ne conduit pas seulement des opérations à l’intérieur des frontières du pays, mais il traverse toutes les frontières de nos nations. » « C’est une menace pour la sécurité nationale arabe », a-t-il conclu tout en omettant la collaboration de plus de plus assumée avec l’occupation israélienne, les tentatives de mise en échec des révolutions arabes ou les massacres commis au Yemen.
Une erreur de calcul absolue de « MBS »
La Ligue arabe s’est alignée sur la position saoudienne : dans un communiqué, la Ligue « fait assumer au Hezbollah, un partenaire dans le gouvernement libanais, la responsabilité de fournir aux groupes terroristes dans les pays arabes des armes sophistiquées et des missiles balistiques » et accuse « le Hezbollah et les Gardiens de la révolution iraniens de financer et d’entraîner des groupes terroristes à Bahreïn. »
Cette charge contre le Hezbollah est le fruit de plusieurs années de travail de sape de la part des pays du Golfe : il y a un an et demi, le Conseil de coopération du Golfe avait annoncé que le Hezbollah était désormais qualifié comme « organisation terroriste. » En agissant ainsi, l’Arabie Saoudite s’arroge le droit de s’ingérer dans les affaires de ses voisins pour briser l’hégémonie politique du Hezbollah, comme ce fut le cas avec le Liban récemment. L’occasion aussi pour les Saoudiens de faire pression sur l’organisation et de l’inciter à se désengager en Syrie ou au Yemen, où le Hezbollah est accusé de soutenir les rebelles houthis. Sauf que, précise le chercheur Didier Billon, « ce genre de manœuvres ne fera pas s’agenouiller le Hezbollah, c’est une erreur de calcul absolue du prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman. »
Dans l’attente d’une nouvelle guerre au profit d’Israël
En agissant ainsi, l’Arabie Saoudite donne aussi un sacré coup de pouce à Israël. Fin octobre, Judah Ari Gross indiquait dans Times of Israel, dont il est le correspondant militaire, qu’« une guerre entre le Hezbollah (qui arme la bande de Gaza) et Israël est inévitable, et forcément dévastatrice. » En délégitimant par la diplomatie le Hezbollah — avec le soutien de la Ligue arabe, l’Arabie Saoudite permet à Israël de voir s’éloigner un conflit armé immédiat avec son ennemi iranien.
Sauf que, malgré les accusations de terrorisme émises par la Ligue arabe, le Hezbollah a le vent en poupe. Selon Karim Émile Bitar, chercheur à l’IRIS, « si Saad Hariri décide de renégocier avec le Hezbollah, ce mouvement n’est pas forcément prêt à faire des concessions. » Surtout que, ajoute-t-il, « le sentiment qui règne est plutôt que les Saoudiens se sont tirés une balle dans le pied et que le camp irano-syrien a le vent en poupe actuellement dans la région. » Mais désormais, la liste des ennemis du Hezbollah s’est allongée.