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Marie Dasylva : « L’enjeu est que nous, les femmes racisées, prenions confiance en nous »

LeMuslimPost : Vous êtes coach de vie en entreprises pour femmes racisées. Quand et pourquoi avez-vous décidé de créer votre agence ? 

Marie Dasylva : Depuis bientôt un an j’ai fondé une agence d’empowerment à destination des femmes racisées qui s’appelle Nkali Works. C’est une agence à travers laquelle je traite par le coaching de toutes les problématiques que peut rencontrer une femme non blanche, dans le milieu du travail. J’ai crée cette agence car moi-même en tant que femme noire ayant travaillé dans des espaces exclusivement blancs, je me suis retrouvée parfois démunie face à certaines problématiques. A travers cette agence, j’ai vocation à interroger les dynamiques que peuvent produire le fait d’être minoritaire dans un espace majoritairement blanc. Des dynamiques d’infériorisation, de racisme etc. Avec le coaching j’aide mes clientes à analyser ce qu’elles vivent ou à élaborer des stratégies de riposte et de combat. 

Vous avez appelé votre agence « Nkali », que signifie ce nom ?

Nkali est un mot qui avait été prononcé par Chimamanda Ngozi Adichie (écrivaine Nigériane et féministe engagée). Elle le définit comme le pouvoir de se réapproprier sa narration. Je trouvais que cela collait bien avec le travail que je voulais faire. A travers les coaching de l’agence je pousse en effet les femmes à réinterroger leur parcours et surtout parfois à le voir de façon plus indulgente. Il y a tout un travail sur la narration, comment je me présente, comme je me positionne dans un espace.

« La micro-agression, c’est comme une piqûre de moustique : si vous vous faites piquer par le même moustique à chaque fois et au même endroit, il y a un moment où cela produit un effet »

Quelles sont les femmes qui font appel à vous ?

Les femmes qui viennent me voir sont toutes des femmes racisées, mais il y a une vraie diversité dans leurs profils. Je peux avoir par exemple une femme qui travaille au Mac-Do mais qui se rend compte qu’elle a un problème sur son contrat ou bien une ingénieure d’affaire qui se fait harceler sexuellement par son patron. Je rencontre à la fois une diversité dans les profils mais aussi dans les problématiques. Ce qui reste prégnant c’est surtout le racisme rencontré dans ses espaces de travail ainsi que le sexisme. Avec mes clientes je traite aussi du problème des micro-agressions, car cela revient souvent.

Comment définissez-vous une micro-agression ?

Une micro-agression ce sont ces petites phrases prononcées par vos collègues qui vous mettent en difficulté. Elles ont l’air anodines comme ça mais elles révèlent parfois un racisme existant. Quand on ne vit pas la micro-agression on n’arrive pas à comprendre pourquoi c’est si terrible. Mais la micro-agression je la compare à une piqûre de moustique. Si vous vous faites piquer par le même moustique à chaque fois et au même endroit, il y a un moment où cela produit un effet. En fait ce sont des petites phrases faites pour vous désigner toujours comme « l’autre ». La micro-agression c’est aussi un moyen d’exprimer un préjugé. Parfois on a dû mal à réagir face à ces situations.

« Il faut que la gêne change de camp »

Que conseillez-vous aux femmes racisées qui souffrent de micro-agressions ?

L’objectif est de développer l’oralité car dans des cas de micro-agression on est complètement démunis. Quand je fais un atelier sur la micro-agression, je vais pousser les femmes à se mettre en scène, à occuper l’espace, à adopter une bonne posture. On va avoir comme une boîte à outils avec des phrases toutes faites qu’elles vont choisir elles-mêmes et qui vont les aider à se défendre dans certaines situations. Ce sont vraiment des ateliers dans lesquels ont va de manière collective dégager des stratégies de lutte à l’intérieur de l’espace travail.

Avez-vous aussi traité des cas d’islamophobie vécus par des femmes ? 

Oui, car il y a l’islamophobie d’Etat mais aussi l’islamophobie au bureau et à la machine à café ! J’ai cet exemple en tête d’une cliente à moi qui porte le foulard et à l’heure du déjeuner un jour son collègue lui dit : « Bon il faudrait vraiment que tu parles à tes gens qui viennent de commettre un attentat ». Ma cliente était sidérée d’entendre cela. Je pars du principe dans ces situations là qu’il ne faut jamais justifier son humanité et ne jamais tomber dans l’excuse. Je pense qu’il faut être dans l’auto-défense. J’ai dit à ma cliente que si jamais cette personne lui refaisait une remarque islamophobe ou raciste, elle devrait lui demander qu’elles sont ses intentions derrière ça. Il faut que cet instant d’humour devienne un instant de honte, afin que la gêne change de camp.

« On a envie d’entendre que toutes les femmes sont unies parce qu’elles sont victime du patriarcat, mais il y a aussi des rapports de domination liés à la race, à la classe et à la religion »

Qu’entendez-vous exactement par « justifier son humanité »?

Je pars du principe qu’expliquer son humanité c’est entrer dans ce que j’appelle « l’Everest de l’inutile », où l’on va gravir des obstacles, se battre, pour que la personne en face de nous dise finalement qu’elle n’est pas d’accord avec nous alors que l’on vient de poser ses tripes sur la table à expliquer qu’on est un être humain. Le but c’est d’éviter ça. Cette tendance à humaniser est très problématique car cela veut dire que l’humanité des musulmans n’est pas acquise et que cela reste une perpétuelle question. C’est pour cela que les #NotInMyName et autres, c’est contreproductif. C’est comme si notre humanité était une épreuve qu’on devait à chaque fois passer. L’humanité ce n’est pas le bac, normalement tout le monde l’a !

Selon vous pourquoi le terme d’intersectionnalité est-il encore controversé? 

Quand on parle d’intersectionnalité ou d’afro-féminisme, on va nous dire qu’on divise, parce que parler de ces sujets c’est une manière de dire qu’il existe des rapports de domination à l’intérieur même du groupe femme. Et ce n’est pas quelque chose que l’on a envie d’entendre. On a envie d’entendre que toutes les femmes sont unies parce qu’elles sont victime du patriarcat, mais il y a aussi des rapports de domination liés à la race, à la classe et à la religion. C’est tout cela que l’intersectionnalité met en exergue. L’intersectionnalité c’est la question qui fâche. 

« L’enjeu est que les femmes qu’on n’entend pas se fassent entendre »

Si je prends le cas d’une personne portant le foulard, si elle se fait agresser et qu’elle cherche à visibiliser son agression, est-ce qu’on l’entendra ? Est-ce qu’on entend les femmes noires ? Celles porteuses d’un handicap ? Même pour cette question qui est censée toutes nous concerner, on sent qu’il y a un rapport de pouvoir et c’est ce que je trouve dommage. Mais l’enjeu est que les femmes qu’on n’entend pas se fassent entendre et ce dans tous les domaines.

Comment mesurez-vous la réussite de votre coaching depuis que vous avez ouvert votre agence ?

Je communique beaucoup sur mon travail via Twitter et un hashtag qui s’appelle #JeudiSurvieAuTaff. Tout les jeudis je raconte un cas que j’ai réussi à résoudre, une femme que j’ai accompagnée. Mais je ne sais même pas si on peut parler en terme de réussite ou d’échec puisque la réussite est déjà dans le fait de riposter. Il y a bien sûr des cas où je vais être amère, quand j’accompagne par exemple une personne victime de harcèlement et que finalement c’est elle qui quitte son travail. Mais souvent elles me remercient de ne pas être tombée en dépression à cause de cela ou en burn-out. Elles sont contentes d’être parties en s’étant défendues, en ayant défendu leur dignité. C’est parfois plus important pour ces personnes de s’être battues que de gagner.

« L’enjeu des luttes, quelles qu’elles soient, n’est pas dans la pédagogie »

Etes-vous optimiste quant à l’évolution de la société sur ces problématiques ?

Je suis optimiste, mais c’est un optimisme de combat. Pour moi l’espoir ne réside pas dans la capacité que nous aurons à dialoguer avec l’oppresseur. L’enjeu des luttes, quelles qu’elles soient, n’est pas dans la pédagogie. Je pense qu’il y a des personnes qui ont trouvé les bons mots mais que l’oppresseur a fait le choix de ne pas les entendre. Je pense que l’enjeu est de prendre confiance en nous, femmes racisées, et de penser que l’on peut le faire, qu’on peut se battre. Ce qui est récurrent dans mon travail c’est le fait que l’humanité de ces femmes soient remise en question. Je dis simplement que si notre humanité est une question, elle ne se termine pas forcément par un point d’interrogation, mais par un point levé !

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