samedi 23 novembre 2024
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Le Maroc, nouvelle destination phare du tourisme halal ?

Des boîtes de nuit, un cinéma, le palais des Congrès et de grands hôtels s’étendent le long des jardins de l’Agdal, les plus anciens de Marrakech. Ils ont donné le nom à ce quartier touristique, à une dizaine de minutes seulement de l’aéroport et de la médina. 

C’est dans cet emplacement stratégique, que se trouve le Mogador Agdal Palace, un des établissements de la plus grande chaîne hôtelière au Maroc. Le groupe Mogador, réputé pour ses hôtels « familiaux » est l’un des rares a avoir fait le choix ne de pas servir d’alcool. 

Un bon point pour les acteurs du tourisme halal. Sur HalalBooking, un site crée en 2009 et devenu une référence en matière de réservations de séjours pour une clientèle musulmane, le Mogador Agdal Palace est ainsi référencé. 

Cet hôtel cinq étoiles, avec deux piscines, deux restaurants, un spa et 600 chambres répond en effet aux critères pour être « muslim friendly ». Il peut convenir aux attentes principales des voyageurs musulmans et les accueillir de façon bienveillante. 

« Ici c’est la sécurité, le respect, une ambiance familiale », assure le propriétaire, qui se vante de recevoir près de 5 000 enfants au mois d’août et d’avoir toujours été halal. 

La deuxième piscine de l’hôtel Mogador modifiée pour accueillir un public féminin

Seulement, l’établissement est encore loin de ressembler aux hôtels turcs estampillés halal. En Turquie, les endroits touristiques comme Antalya regorgent de complexes hôteliers destinés aux musulmans qui comprennent des piscines réservées aux femmes, des spas séparés, des tapis et le Coran dans les chambres, un dress code dans les zones mixtes, la visite d’un imam le vendredi etc…

Ainsi, pour devenir « davantage halal », l’hôtel devra transformer sa deuxième piscine, qui sera entièrement dédiées aux femmes dès le printemps 2019. Des plantes géantes seront installées tout autour, pour respecter l’intimité des dames. 

« Les femmes en burkini ont un manque de vitamine D. On veut donner l’occasion à toutes les femmes de pouvoir bronzer tranquillement », souligne Nabil Benjelloun, le directeur général, qui voit surtout dans le tourisme halal « un bon business ». 

Pour autant, celui-ci répète qu’il veut rester « ouvert à tout le monde ». « On ne veut pas de label. Si je mets une ‘pancarte halal’ devant mon hôtel, je n’aurais pas cette clientèle là »,précise t-il, en montrant du doigt des clientes en maillot de bain deux pièces autour de la piscine.

Une certaine réticence que Ufuk Seçgin, directeur marketing de HalalBooking, comprend. « Le Mogador a déjà une clientèle bien établie, donc nous allons procéder par étapes. S’ils voient que la demande augmente, nous sommes sûrs qu’ils vont prendre un autre tournant ». 

« Le Maroc est le lieu idéal pour répliquer le même marché que nous avons en Turquie »

Au Maroc, HalalBooking a déjà près de 80 partenaires potentiels. Seulement il faut convaincre les propriétaires des hôtels, riads et villas privées, de l’opportunité que représente le tourisme halal. 

Ce secteur en pleine croissance représente déjà 145 milliards de dollars à travers le monde et devrait peser 283 milliards de dollars d’ici 2023, soit 14% du marché mondial du tourisme, selon les chiffres de Thomson Reuters. 

Ufuk Seçgin estime que c’est une aubaine pour les hôteliers marocains. Ils pourraient diversifier leur clientèle et se positionner sur une « niche lucrative », où il y a encore peu de compétition dans le pays. Il voit d’ailleurs un fort potentiel dans le Maroc, pour les séjours halal friendly. 

« Le Maroc est le lieu idéal pour répliquer le même marché que nous avons en Turquie. C’est un pays musulman avec une culture, une histoire importante. Ils ont les infrastructures nécessaires, une bonne qualité de service dans les hôtels, une viande halal et du soleil toute l’année ! », énumère t-il. 

De plus, la demande semble être en augmentation pour cette destination. Certes, beaucoup de clients musulmans réservent chaque année des séjours en Turquie, qui représentent d’ailleurs 90% du chiffre d’affaires de HalalBooking. Mais désormais, les voyageurs souhaitent diversifier leurs vacances. 

« Ces derniers mois nous avons eu au moins 200 réservations pour le Maroc », confirme Amina Boulassel, du service client. 

20 000 réservations aux Maroc prévues par HalalBooking d’ici 2019

« D’ici 2019, nous avons pour le Maroc un objectif de 20 000 réservations. Nous n’avons pas de mal à proposer ce pays du Maghreb qui attire, mais il faut vraiment accentuer les services halal et ce sera un vrai succès. Nous voulons faire du Maroc notre destination numéro 2 après la Turquie », renchérit Sekaïna, chargée de la gestion et des relations avec les hôtels.

Plusieurs riads, ces maisons traditionnelles construites autour d’un jardin ou patio intérieur, se tournent donc timidement vers une clientèle musulmane. Le Riad Arabo Andalou, à quelques minutes à pieds de la célèbre place Jemaâ El Fna, collabore avec HalalBooking depuis six mois. « Il n’ y a pas de côté halal visible ici, mais le concept m’intéresse. J’ai pensé à ma mère qui n’aime pas les ambiances alcoolisées », explique Kader, le propriétaire. 

Valérie, du Riad Cherratta, propose elle sa maison privée de quatre chambres avec terrasses, en exclusivité sur le site de tourisme halal. « Il faut bien se démarquer de la concurrence. Après, peu importe le type de groupe. Ici en tout cas, les femmes voilées pourront être à l’aise », atteste la gérante française. 

Le concept du tourisme halal repose en effet principalement sur les services spéciaux proposés aux musulmanes. Mais pour le moment au Maroc, les piscines pour femmes, se font encore trop rares. Ainsi, pour sa clientèle, HalalBooking mise surtout sur les villas privées avec piscine sans vis-à-vis.

Un hôtel fait cependant figure d’exception. Le Vizir Center Park & Resort, à 10km du centre de Marrakech, possède depuis plusieurs années une piscine privée. 

Il est lui aussi réputé pour être un hôtel familial, avec un parc d’attraction comprenant entre autres un mur d’escalade, une tyrolienne, un terrain de tennis, un parcours accrobranches…

« Dans la chambre, des tapis de prière et la qibla, ça serait une bonne petite attention. Sinon pour le reste c’est très bien »

En plein mois d’octobre, des familles se prélassent encore au bord de la piscine extérieure mixte, où trône un bateau pirate emblématique. C’est ici que se repose Bilal, 30 ans, venu pour cinq nuits avec sa femme et ses deux enfants. D’origine marocaine, il est d’abord passé par Tanger pour voir ses proches, mais voulait aussi des vacances tranquilles, au bord de la piscine. 

Il est un habitué des séjours dits « halal », en accord avec sa foi. Et pour lui, le Maroc est encore « à des années lumières de ce que propose la Turquie ». 

« Ce qui me dérange le plus ici, c’est la musique », critique t-il. 

Toute la journée en effet, sans pause, les chansons s’enchaînent. L’hôtel a d’ailleurs dû en supprimer certaines aux paroles peu convenables, à la demande des clients. 

« Une salle de prière ça serait bien et aussi une formule all inclusive. Dans la chambre, des tapis de prière et la qibla, ça serait une bonne petite attention. Sinon pour le reste c’est très bien », concède le père de famille, de Lille. 

Pendant ce temps, sa femme, Marion, bronze sur un transat dans la piscine privée juste à côté, où les hommes et les portables y sont interdits. Elle détaille avec engouement à sa nouvelle amie Karima, tous les services halal que propose la Turquie. Elle est toutefois consciente que le Maroc fait encore figure de débutant sur ce créneau.

Mais toutes deux s’étonnent que le Maroc, bien que pays musulman, ne propose pas davantage de piscines pour femmes. « Une copine vient chaque année. Elle fait la route depuis Agadir jusqu’à Marrakech pour venir se baigner ici! », rapporte Karima, 39 ans.

Elles s’offusquent également que beaucoup d’hôtels refusent le burkini ou le regardent d’un mauvais oeil. « J’avais été à un hôtel à Marrakech où j’avais nagé en burkini et tout le monde m’a regardé comme si j’étais un extraterrestre », ajoute la mère de famille, qui séjourne pour la première fois dans un hôtel halal friendly, où les deux types de maillots de bain sont autorisés. 

« Est-ce qu’au Maroc un hôtel peut se permettre d’être 100% halal pour une clientèle exclusivement musulmane ? »

Mais burkini et/ou bikini ? C’est une question qui se pose pour certains hôteliers marocains, qui souhaiteraient conserver leur vacanciers dits « occidentaux », tout en s’ouvrant à des voyageurs musulmans. Deux types de clientèles qui « ne sont pas incompatibles », promet Sekaïna, de HalalBooking. 

Mais pour Okan Aydoğan, agent de voyage en Belgique, l’équation risque d’être compliquée : « Je sais que mes clients ne veulent pas seulement des hôtels halal friendly mais 100% halal. Donc les piscines mixtes avec bikini autorisé pourraient les déranger ».  

Abdelaziz Kabbaj, le gérant du Vizir, lui aussi, s’interroge encore. Il reçoit beaucoup de clients grâce à HalalBooking, avec qui il travaille depuis un an et demi. L’hôtel, devant son succès, devrait d’ailleurs agrandir la piscine pour femmes et augmenter le nombre de chambres. Mais si celui-ci est convaincu que le Maroc peut encore améliorer ses services halal, il reste prudent.   

« Est-ce qu’au Maroc un hôtel peut se permettre d’être 100% halal pour une clientèle exclusivement musulmane ? Ici en tout cas, notre challenge est de pouvoir accueillir des gens de toutes confessions. Dans l’histoire du Maroc, les juifs, les chrétiens et les musulmans, ont toujours cohabité. On est un hôtel famille au Maroc et pas un hôtel famille en Turquie. Ce n’est pas la même chose. Est-ce que l’on peut transposer exactement ce même modèle au Maroc ? L’avenir nous le dira… »

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