lundi 25 novembre 2024
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Narimène Bey, une voix musulmane à l’opéra

« La Traviata » de Verdi, « La Flûte enchantée » de Mozart… des grands classiques de l’opéra que Narimène Bey affectionne tout particulièrement et qu’elle rêverait d’interpréter sur les scènes les plus prestigieuses.

Mais difficile de se faire une place dans le monde de l’opéra, un univers élitiste et qui reste très codifié. Pourtant, Narimène Bey, 30 ans, au conservatoire de Montpellier, souhaite apporter une touche de modernité à l’opéra. Elle espère bien faire évoluer les mentalités et devenir ainsi la première soprano à porter le voile et à faire carrière. Rencontre.

LeMuslimPost : Comment est née votre passion pour la musique ?

Narimène Bey : Ma mère, d’origine algérienne écoutait beaucoup de musique à la maison. Quand elle arrivée en Europe, elle souhaitait pouvoir permettre à ses enfants d’accéder à des grandes études et autres opportunités. Un jour elle a entendu parler d’une classe musicale. Il fallait connaître une ou deux chansons par coeur pour l’audition et reproduire une mélodie entendue sur le piano. J’ai réussi le concours d’entrée, à 7 ans. Quand on est petit on ne s’en rend pas compte, mais c’était vraiment une chance.

Qu’avez-vous appris à l’école de musique ?

A la CHAM (Classe à Horaires Aménagés Musicale), j’ai envisagé au début d’apprendre le piano. Mais tous les instruments du conservatoire sont prêtés sauf le piano, qu’il faut se procurer soi-même. La plupart de mes amis qui avaient choisi le piano en avait déjà un à la maison. Nous ce n’était pas possible, c’était trop cher. Mon père a fait les marchés aux puces de toute la région pour trouver un piano. Il en avait trouvé un mais il était en trop mauvais état. Finalement j’ai dû choisir un autre instrument, le violon. Un choix par défaut. D’ailleurs j’avais dû mal à travailler cet instrument. Et là encore je ne partais sur le même pied d’égalité que mes camarades car la plupart avait des musiciens dans leur famille donc ils savaient à peu près comment s’entraîner. Mes parents eux, découvraient totalement.

Le monde de la musique classique est donc encore un milieu élitiste ?

Oui et je l’ai remarqué dès l’école de musique et ensuite lors de mes premiers cours de chants. J’ai eu l’impression d’entrer dans un autre monde, avec clairement une certaine aisance financière. Ce sont des codes, une attitude, une manière de parler propre à ce monde là, un peu bourgeoise. Ce milieu élitiste je le constate toujours. Les frais d’inscriptions pour les concours sont à des prix exorbitants. Les stages avec les grands professionnels sont aussi très chers.

Comment avez-vous découvert votre passion pour l’opéra ?

Quand j’avais 16 ans, j’avais apprécié l’air de Pamina, un air connu de la Flûte enchantée de Mozart, qu’on avait découvert en cours de solfège. Alors à la fin du cours je me suis mise à chanter devant la classe, comme la voix de la chanteuse écoutée en enregistrement. C’est là qu’un professeur m’a entendu et remarqué. Il m’a invité à rejoindre son cours. Mais j’avais déjà une certaine passion pour le chant. Je chantais toute les chansons qui me passaient par la tête. Je rendais fous mes parents car je chantais tout le temps. Par contre l’opéra a vraiment été une découverte. Je ne m’étais jamais dit que j’allais chanter comme ça. C’était une posture vocale que je ne connaissais pas.

Quelles sont les chanteuses d’opéra qui vous ont inspirée ?

Au début, le premier nom que l’on entendait en découvrant l’opéra c’était Maria Callas. Je me souviens de l’avoir écoutée et que ça ne me plaisait pas trop. Une des premières que j’ai adorée c’était Nathalie Dessay, puis la soprano allemande Diana Damrau. Et puis un jour j’ai fini par tomber amoureuse de Maria Callas. Quelque chose s’est passé. J’admire son travail, sa personnalité, sa façon de parler de la voix.

Parmi les sopranos, vous êtes la première chanteuse lyrique musulmane et voilée. Comment le vivez-vous ?

Cela fait toujours peur de se dire que je suis la première chanteuse d’opéra musulmane portant le voile et pourtant j’ai cherché des modèles. J’aurais vraiment aimé rencontrer une femme qui fasse ce parcours avant moi. Quand j’ai rencontré certaines chanteuses de confession musulmane mais qui ne portent pas le voile, elles m’ont dit que c’était déjà difficile pour elles et que pour moi, ça le serait encore plus.

Avez-vous déjà rencontré des difficultés dans le monde de l’opéra, liées à votre voile ?

J’ai tenté un grand concours récemment. Je pensais pouvoir passer la sélection vidéo et ensuite passer l’audition en présentiel. J’étais partie suite aux conseils de ma professeure. Finalement un membre du jury qui la connaissait lui a expliqué par la suite pourquoi il ne m’avait pas acceptée. Il lui a dit : « j’ai reconnu ton élève forcément, mais que veux-tu qu’on fasse avec ça ? », en parlant de mon voile. C’est dur à entendre mais il faut que je m’en accommode. C’est un monde très particulier.

Le voile pourrait donc être un frein à votre carrière professionnelle ?

Pour le moment ça va, car je ne suis pas encore sur la scène française, je fais juste des petits concerts. Mais je parle avec beaucoup de professionnels et eux me disent qu’il faut que j’ouvre les yeux, que ce ne sera pas possible d’interpréter des rôles avec mon foulard. Mais au-delà du voile, il y a aussi une spécificité française un peu dérangeante, qui est cette obsession pour le nu et le physique. Dans cet ère où l’on parle beaucoup de féminisme, je trouve qu’il y a une réelle objectivation de la femme dans l’opéra. J’ai entendu des choses assez effrayantes sur la façon dont on perçoit la femme et pourquoi est ce qu’on l’utilise comme ça sur scène. Ce serait bien que ça évolue et que des metteurs en scène acceptent de revoir leur manière de voir les choses.

Vous chantez souvent dans des églises. Pourquoi ?

Les églises sont tout simplement des lieux avec une très bonne acoustique. Depuis mes débuts, je chante donc souvent dans des églises, un peu partout en France. Et je n’ai d’ailleurs pas eu de retours négatifs ou des questionnements sur mon voile. Il y a toujours un petit a priori au début, mais à la fin les gens sourient.

Pendant le mois de Ramadan, j’ai été invitée à chanter à l’abbaye de Cîteaux (21) par mon premier prof de chant, qui est catholique pratiquant. Je trouvais cela extraordinaire d’être dans une abbaye et que l’on ai pensé à moi pour enregistrer un album sur Marie. C’était une des plus belles expériences que j’ai vécue.

Aimeriez-vous aussi pouvoir chanter dans des mosquées ?

Je ne rêve pas forcément de chanter dans une mosquée mais déjà que les gens des mosquées m’acceptent. Au début j’avais très peur des commentaires de la part de la communauté musulmane mais maintenant ça va mieux. J’aimerais simplement être respectée. J’ai l’impression qu’on me prend à la légère quand je dis ce que je fais, alors que cela demande un travail énorme. On me dit que je pourrais interpréter des chants religieux islamiques, mais ça n’a rien à voir avec l’opéra. Mais c’est vrai que je pourrais créer quelque chose de nouveau. D’ailleurs ma grande inspiration est le chanteur Sami Yusuf. Il a fait la prestigieuse Royal Academy of Music de Londres, et a réussi à mêler son amour de Dieu à sa musique. Pour moi c’est l’excellence. La seule manière de chanter en islam actuellement, c’est de faire des anachîd dans une mosquée lors d’un mariage. Je trouve ça un peu réducteur. Quand il s’agit de musique dans notre communauté, on n’a plus d’ambitions. J’espère pouvoir trouver une façon de pouvoir utiliser ma voix dans la communauté.

Quels sont vos rêves de scène ?

J’aimerais faire des grandes scènes internationales. On peut me prendre pour une folle ambitieuse, mais j’adorerais faire la Scala de Milan, le Metropolitan de New York, l’opéra Bastille et Garnier à Paris…

Quels sont vos projets en cours ?

J’ai lancé ma chaîne Youtube il y a quelques mois. J’ai compris qu’il fallait aussi que je passe par là pour me faire connaître. Mais j’ai regardé les chaînes des plus grandes chanteuses d’opéra au monde et certaines ont moins de 1000 abonnés. On verra si ça va marcher. On me dit aussi de faire un peu de variété. Mais je n’ai pas envie de me brader. Je réfléchis à ce que je pourrais faire pour apporter de la modernité à l’opéra.

Espérez-vous inciter d’autres musulmanes à se lancer dans l’opéra à l’avenir ?

J’espère pouvoir inspirer d’autres filles, mais pour cela il faudrait que je réussisse à faire quelque chose de mémorable. Je me rappelle qu’une fois après la soirée des Mokhtar Awards où un reportage vidéo m’avait été consacré, une jeune fille voilée est venue me voir et qui m’a dit qu’elle avait été touchée par mon histoire. Elle chantait elle aussi de l’opéra mais pour elle toute seule. Je l’ai encouragée à continuer. Je pense qu’il y a d’autres femmes musulmanes qui pourraient être intéressées par l’opéra. Mennel et moi sommes je crois, les seules femmes en France qui chantent avec leur voile. On n’a pas vraiment d’exemples d’artistes musulmanes voilées de manière générale, et c’est dommage.

 

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