« Pendant onze mois, je fais mon boulot mais pendant un mois je fais le ramadan, est-ce que ça va faire de moi quelqu’un de radicalisé ? », s’interroge un officier de police, qui a requis l’anonymat.
L’appel du président Emmanuel Macron à bâtir « une société de vigilance », lors de l’hommage aux quatre fonctionnaires tués lors de l’attaque, a laissé « songeur » ce policier expérimenté. « Vu les extrémismes qui montent en puissance dans le pays, c’est dangereux », estime-t-il, soulignant que sa pratique religieuse « n’a jamais posé problème » au travail.
Mickaël Harpon, un informaticien du service de renseignement de la préfecture de police qui a tué à l’arme blanche quatre de ses collègues il y a huit jours à la préfecture de police avant d’être abattu, est présenté par les autorités comme proche de la mouvance « islamiste salafiste ».
Il avait approuvé en 2015 devant des collègues l’attentat jihadiste contre l’hebdomadaire Charlie Hebdo sans que cela fasse l’objet d’un signalement formel, ce qui a conduit le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, à pointer un « dysfonctionnement de l’Etat ».
Après l’attentat, le préfet de police Didier Lallement a invité dans une note chaque agent à « signaler immédiatement et directement à sa hiérarchie » tous les signes d’une « possible radicalisation ».
« Des changements physiques, vestimentaires et alimentaires, le refus de serrer la main du personnel féminin, un rejet brutal des habitudes quotidiennes, un repli sur soi, le rejet de l’autorité et de la vie en collectivité », a notamment détaillé le préfet de police de Paris.
Manque de formation
A la suite de la tuerie commise par Mickaël Harpon, deux policiers de région parisienne ont été privés de leur arme en raison de soupçons de radicalisation islamiste, a indiqué la préfecture de police.
Sans se prononcer sur ces cas, les syndicats ont mis en garde contre le risque d’une « chasse aux sorcières » qui pourrait gagner les rangs policiers, au détriment des fonctionnaires musulmans.
« Il n’y a pas de psychose, mais on sait qu’il y a eu plusieurs signalements depuis l’attaque et des collègues ont été interpellés par leur hiérarchie pour dire s’ils avaient des doutes sur untel ou untel », affirme Linda Kebbab, déléguée nationale du syndicat Unité-SGP-FO.
« Un policier dont la femme est marocaine se demande s’il va avoir des soucis. On en est là », s’inquiète de son côté Noam Anouar, délégué syndical chez Vigi-Police.
« Moi je suis Français avant tout, avec ma religion et en respectant les lois françaises, et ça ne veut pas dire que je suis dangereux. Sinon, autant écarter tous les policiers musulmans », relève un fonctionnaire, en poste dans la sécurité publique à Marseille.
« Il faut dépassionner le débat » et « ne pas confondre dénonciation et délation », selon Rachid Azizi, commandant de police. Cet ancien référent discrimination de la police nationale estime qu’il faut trouver « un juste équilibre », notamment pour « protéger la personne dénoncée des risques d’abus ».
Les syndicats pointent surtout le manque de formation des policiers pour détecter les signes d’une radicalisation, alors que les forces de l’ordre figurent parmi les objectifs récurrents des organisations jihadistes, et que la France a été touchée depuis 2015 par une vague d’attentats islamistes sans précédent qui a fait 255 morts.
« Tout le monde ne peut pas s’improviser du jour au lendemain expert en matière de radicalisation et de détection préalable d’un acte terroriste. C’est un métier et même après plusieurs années d’exercice aux renseignements, on peut se planter », souligne Noam Anouar, passé par la Direction du renseignement de la préfecture de police, où travaillait Mickaël Harpon.
« Des collègues nous disent ‘on ne rasera pas les murs’, mais ils ont peur de se retrouver sur une liste par erreur », rapporte de son côté Linda Kebbab.