En 2008, Asma B, est embauchée comme ingénieure d’études chez Micropole Univers, et porte le voile au sein de cette entreprise privée, sans que cela ne cause de problème à son employeur. Mais après son intervention chez un client à Toulouse, celui-ci se plaint de son voile, qui aurait « gêné un certain nombre de ses collaborateurs ». Le client demande également à son supérieur « qu’il n’y ait pas de voile la prochaine fois ».
Suite à cet évènement, l’employée est licenciée sans préavis, en 2009. Micropole Univers estime que son foulard a entravé le développement de l’entreprise. A l’ époque, les jugements des prud’hommes puis de la cour d’appel estiment que le licenciement est fondé sur « une cause réelle et sérieuse ».
Mais le 22 novembre 2017, la Cour de Cassation a fini par donner raison à Asma B, en se basant sur l’avis de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). En effet, en mars 2017, elle a donné le feu vert aux entreprises privées souhaitant exclure le voile de l’entreprise.
La CJUE a cependant imposé certaines conditions, pour éviter les discriminations.
L’entreprise doit stipuler dans son règlement l’interdiction pour tous les salariés de porter sur le lieu de travail, des signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses.
« Cet arrêt donne le mode d’emploi aux entreprises pour proscrire le port du voile »
Pour autant, il n’est pas question de cibler une confession plus qu’une autre. Cette restriction ne doit pas concerner uniquement les femmes musulmanes portant un foulard. Pour bannir ce dernier, l’entreprise doit justifier son choix par « un objectif légitime tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité ».
Dans le cas de Asma B, cette interdiction était absente du règlement intérieur au moment des faits. Ainsi, son licenciement n’était pas justifié. De plus, la Cour de cassation a estimé que la requête du client ne pouvait être considéré comme une « exigence professionnelle, essentielle et déterminante ».
« La salariée obtient gain de cause et c’est une bonne chose pour elle, car elle a été victime de discrimination directe de la part du client. Mais cet arrêt permet de rendre possible l’interdiction du foulard sous plusieurs conditions et donne le mode d’emploi aux entreprises privées », nuance l’avocat Henri Braun.
En effet, nombre de sociétés pourront utiliser ce cas et l’avis rendu par la Cour de justice européenne pour rédiger des règlements internes visant directement les employées musulmanes, en évitant intelligemment d’être accusées de discrimination.
Vers un recul de la liberté religieuse et d’opinion ?
Pour Henri Braun, l’interdiction de signes religieux, politiques et philosophiques fait reculer à la fois la liberté religieuse mais aussi la liberté d’opinion, surtout en s’étendant au secteur privé.
« Si je suis admirateur de Spinoza et que je manifeste mon intérêt pour ses thèses en entreprise, alors cela pourra m’être reproché ? On donne la possibilité à l’employeur d’empêcher toute manifestation d’opinion », s’inquiète l’avocat spécialisé dans le droit du travail.
« On voit que les directives européennes prennent le dessus et qu’elles vont plus loin dans les restrictions, conclut Henri Braun. Finalement cet arrêt pose plus de questions qu’il n’en résout ».