Assis sur les marches de l’Université islamique avec son sac à dos, Riccardo Corradini attire les regards curieux des étudiants palestiniens: il est le premier Européen en échange universitaire Erasmus dans la bande de Gaza.
Il y a un an, lorsque son université à Sienne, en Italie, a annoncé qu’une place était ouverte pour étudier quatre mois dans l’une des 14 universités de l’enclave palestinienne, « je n’ai pas réfléchi plus d’une heure », raconte l’étudiant en sixième année de médecine, qui a déjà effectué un échange universitaire en territoire palestinien il y a deux ans. Il a pourtant été le seul à postuler.
Coincée entre Israël, Egypte et Méditerranée, verrouillée par un strict blocus israélien, Gaza vit entre pénuries chroniques et menaces de guerre avec le voisin israélien.
Mais pour Riccardo Corradini, qui veut faire de la chirurgie d’urgence sa spécialité, exercer la médecine à Gaza le place face à des situations qui sont inimaginables chez lui.
« J’ai vu certains cas qui ne sont pas communs en Italie ou en Europe. Des gens blessés à la jambe, un adolescent de 16 ans amputé, le genre de blessures que, malheureusement, vous ne pouvez voir qu’ici », explique le jeune homme de 25 ans, qui exerce dans trois hôpitaux gazaouis.
Depuis mars 2018, plus de 250 Palestiniens ont été tués par des tirs israéliens, la très grande majorité lors de rassemblements le long de la frontière pour réclamer la levée du blocus israélien. Des milliers d’autres ont été blessés, une centaine amputés. Deux soldats israéliens ont été tués depuis cette date.
Un rapport récent d’une commission d’enquête de l’ONU affirme que la riposte israélienne s’apparente à des « crimes contre l’humanité ». Conclusions catégoriquement rejetées par Israël qui invoque le droit de défendre sa frontière et met en cause la responsabilité du Hamas.
Riccardo Corradini n’exerce pas dans les hôpitaux gazaouis le vendredi, jour où ils reçoivent des flux de personnes blessées lors des manifestations. Le stress et la détresse des proches ne se prêtent pas à ce qu’il intervienne.
« Bien sûr, ce n’est pas facile de vivre ici », concède-t-il, décrivant le manque de matériel médical ou de médicaments et l’insécurité permanente des Gazaouis.
Lui ne se sent pas menacé. Passé leur étonnement, « les gens sont tellement accueillants! », s’enthousiasme-t-il, citant l’exemple de ses propriétaires palestiniens qui le « traitent comme un membre de la famille ».
« C’est courageux de sa part de venir dans un endroit sous blocus », juge Saadi al-Nakhala, un de ses amis.
Dans son bureau surplombant le campus, Ahmed Muhaisen, responsable des Affaires extérieures à l’Université islamique, voit en Riccardo Corradini un « ambassadeur » et espère que d’autres suivront son exemple.
L’Université islamique a conclu quelques centaines de partenariats dans le monde, notamment en Europe. A Sienne, trois Gazaouis sont actuellement en semestre d’échange.
C’est « un moyen de montrer au monde qu’il y a un excellent niveau académique » à Gaza, se félicite Ahmed Muhaisen.
Depuis l’arrivée de Riccardo Corradini début février, au moins quatre universités italiennes ont postulé au programme Erasmus Plus à Gaza, note Meri Calvelli, représentante dans les territoires palestiniens de l’ONG italienne ACS qui facilite ces échanges.
« C’est très important de comprendre qu’à Gaza, il n’y a pas que des terroristes et des attaques à la bombe, mais aussi une vie normale », martèle-t-elle.
Lancé en 1987, d’abord limité aux étudiants dans les pays européens, Erasmus a été rebaptisé « Erasmus Plus » et s’est diversifié pour toucher d’autres publics et d’autres zones géographiques.
Riccardo Corradini espère que ses quatre mois d’échange constitueront un « petit pas pour la paix ». D’abord sceptiques, ses proches sont « désormais fiers » de lui, glisse-t-il dans un sourire.