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Suisse : « Les musulmans et les non-musulmans ne sont pas deux groupes opposés »

Le 11 septembre dernier, la Commission fédérale contre le racisme (CFR) — une commission extraparlementaire instituée par le Conseil fédéral suisse pour mettre en œuvre la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale — organisait avec le Centre Suisse Islam et Société de l’Université de Fribourg (CSIS) et le Centre de recherche sur les religions de l’Université de Lucerne (ZRF) un colloque sur le thème « Hostilité envers les musulmans : société, médias et politique. » Avec pour principal objectif de « débattre des questionnements suivants : Qu’entend-on par ‘hostilité envers les musulmans’ ? Qui sont les musulmans de Suisse ? De quelle manière sont-ils (re)présentés dans le discours politique et les médias ? Comment déconstruire les préjugés liés à l’Islam et aux musulmans ? » La présidente de la CFR, Martine Brunschwig Graf, fait le bilan de ce colloque et nous parle des actes antimusulmans en Suisse.

LeMuslimPost : Vous avez mandaté une grande étude sur la couverture et la perception des musulmans dans dix-huit médias suisses qui recouvre la période de 2009 à 2017. Qu’est-il ressorti de cette étude ?

Martine Brunschwig Graf : Voici quelques-uns des principaux résultats…

  • Les thèmes abordés sont divers et variés, même si les articles se concentrent davantage sur la radicalisation et le terrorisme à partir de 2015. Ils s’avèrent problématiques dans les 8 % à 10 % des cas où les affirmations des articles relèvent de la généralisation, ou cherchent à créer une distance.
  • Dans les articles qui considèrent l’intégration ou la capacité d’intégration des musulmans de Suisse comme problématique, il y a un nombre plus élevé que la moyenne d’affirmations qui relèvent de la généralisation et cherchent à créer une distance (21 %), ou sont rédigés de manière très émotionnelle (13 %).
  • Les thèmes tels que « l’intégration réussie » et « la vie quotidienne », qui reflètent probablement la réalité de la majorité des musulmanes et musulmans en Suisse, restent marginaux
  • Lorsque les musulmans ont la parole, cela se produit souvent dans un contexte polarisant

Au terme de cette étude, l’institut Fög de l’Université de Zurich estime que « les acteurs musulmans qui présentent des positions polarisantes ont une résonance médiatique plus forte. » Des cas comme celui d’Abu Ramadan, prédicateur libyen accusé d’entretenir « des discours de haine », est-il révélateur de la façon dont est traité l’Islam dans les médias suisses ? 

On ne peut pas reprocher aux médias d’informer sur cette affaire mais éventuellement sur la manière dont cela a été reporté. Pour cela, une analyse plus approfondie serait nécessaire pour répondre à votre question.

« Tous les musulmans en viennent à être tenus pour responsables des paroles d’un prédicateur de haine »

Selon un sondage de Sonntagsblick, 38 % des personnes interrogées font preuve d’une « méfiance » envers les musulmans du pays. Y a-t-il une fracture de plus en plus importante entre Suisses non-musulmans et musulmans ?

Ce sondage a été réalisé quelques jours après l’affaire de l’imam libyen de Bienne, les résultats ont certainement influé sur les réponses et le degré d’inquiétude des personnes sondées. Ce qui est regrettable c’est que tous les musulmans en viennent à être tenus pour responsables des paroles d’un prédicateur de haine. En cela, la fracture non-musulmans et musulmans perdure et est néfaste.

Il convient de souligner que les musulmans et les non-musulmans ne sont pas deux groupes opposés. La population musulmane de Suisse est plurielle, non seulement du point de vue de ses appartenances nationales, sociales et culturelles mais aussi du point de vue des mobilisations individuelles qu’ils et elles font de leurs références religieuses. Il en va de même pour les non-musulmans.

Cette fracture, elle est due à quoi ? Aux événements internationaux ? Pourtant, la Suisse n’a pas été touchée par les attentats…

Les événements internationaux exercent une influence sur l’état de l’opinion en Suisse. Leur répercussion sur les réseaux sociaux exerce un effet amplificateur.

« Il ne faut pas qu’un débat soit biaisé par l’utilisation de symboles qui servent de prétexte à entretenir une hostilité permanente envers les musulmans »

Y a-t-il une défiance vis-à-vis des musulmans ou de la religion musulmane ?

C’est ce que nous pouvons observer, raison pour laquelle nous avons organisé un colloque sur ce thème.

Dans votre rapport annuel 2016, vous indiquez que, l’an dernier, les actes d’hostilité à l’égard des musulmans ont reculé. Mais selon vous, cette baisse doit être relativisée du fait de l’augmentation de la catégorie apparentée du racisme anti-Arabes ?

C’est exact. Si l’on tient compte à la fois de la proportion de cas d’hostilité à l’égard des personnes musulmanes et des cas de racisme anti-Arabes, il en résulte que la proportion de ces cas reste tout aussi élevée par rapport au nombre total de cas évalués en 2015 et 2016, soit près d’un quart du nombre total de cas.

Débat sur les minarets en 2010, sur le port du foulard à l’école en 2011… Les débats politiques en Suisse sont-ils dirigés contre la minorité musulmane et ne montrent-ils pas une hostilité permanente envers les musulmans ?

Tout débat est légitime, y compris celui sur la place de l’Islam et de la religion en Suisse. Mais pour que le débat puisse se dérouler démocratiquement, il ne faut pas qu’il soit biaisé par l’utilisation de symboles qui servent de prétexte à entretenir une hostilité permanente envers les musulmans.

En France, les autorités gouvernementales hésitent à utiliser le mot « islamophobie ». Est-ce également le cas en Suisse ? On voit effectivement que vous parlez d’« amalgames », de « rejet » ou d’« hostilité » mais pas d’islamophobie…

La CFR préfère éviter d’utiliser le mot « islamophobie » car il met l’accent — sémantiquement parlant — sur l’Islam en tant que religion. L’hostilité dont nous parlons vise tant les us et coutumes mal compris, que la présence même de personnes de religion musulmane (ou perçus comme telles) en Suisse. Le terme de « phobie » exprime un sentiment de peur, ici la peur de l’Islam.

En ce qui concerne l’hostilité envers les musulmans, vous indiquez qu’« il y a des pas dans la bonne direction. » Lesquels ? Et quelles sont les prochaines solutions pour contrer ce problème ?

  • La création, à l’Université de Fribourg, du Centre Suisse Islam et Société, qui parle de l’Islam et l’analyse de manière scientifique ;
  • La formation continue destinée aux imams, à Genève ;
  • la mobilisation citoyenne grandissante contre les déclarations haineuses qui circulent, en particulier sur les réseaux sociaux.

La CFR poursuivra le dialogue avec les différents acteurs de la société – associations, pouvoirs publics, partis politiques, médias, chercheurs – concernés par la problématique.

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