Collaborateur au Washington Post, le journaliste saoudien Jamal Khashoggi, qui a disparu dans son consulat à Istanbul, découvrait chaque matin en consultant son application Twitter une horde d’insultes et de commentaires négatifs émis par des trolls. Sur le réseau social, rien de plus banal. Sauf que pour Jamal Khashoggi, les attaques étaient continues et, surtout, organisées comme l’indique le New York Times.
A Riyad, une « usine à trolls » réunit des centaines de Saoudiens qui, dans l’ombre, inondent les réseaux sociaux de commentaires pro-régime et tentent de réduire au silence les voix dissidentes. Pire, un employé saoudien de Twitter serait soupçonné par les responsables des services de renseignements occidentaux d’espionnage des comptes d’utilisateurs pour aider les dirigeants saoudiens.
Les « mouches » contre les « abeilles »
Sept personnes impliquées dans cette opération ont été entendues et confirment au NYT ces pratiques dont le leitmotiv était : harceler, harceler et harceler sur Twitter. En septembre, Jamal Khashoggi avait versé 5 000 dollars à Omar Abdulaziz, un dissident saoudien résidant au Canada, pour créer une armée de riposte, avec des volontaires qui combattraient les trolls pro-Arabie saoudite sur Twitter. Leur nom ? Les « abeilles électroniques ». Ces « abeilles » devaient débarquer sur Twitter dans les jours à venir, avait annoncé Khashoggi avant de mourir.
A Riyad, l’armée de trolls discute sur Twitter avec des dissidents sur la guerre au Yémen ou encore les droits de la femme. Ils reçoivent, chaque jour sur WhatsApp et Telegram, des listes de personnes à menacer, insulter et intimider. Avec, bien sûr, des éléments de langage à insérer dans les conversations. Et quand les conversations prennent une tournure trop néfaste pour le régime, les centaines de salariés signalent des messages, comme ce fut le cas lorsqu’un opposant critiquait l’intervention saoudienne au Yémen.
Avec une question en fond : mais que fait Twitter ? L’entreprise a du mal à combattre les trolls, même si elle a récemment lancé une opération de nettoyage contre les bots. Sauf que là, il s’agit de tweets écrits par des humains au nom du gouvernement saoudien. Et pour ce travail, les salariés touchent chacun 10 000 riyals par mois, soit environ 3 000 dollars.
Des listes noires publiques de dissidents
A la tête de cette usine à trolls, Saud al-Qahtani — un des deux hauts responsables limogés ces derniers jours —, surnommé le « Steve Bannon d’Arabie saoudite » ou le « maître des trolls », voire des « mouches », le nom donné aux trolls. al-Qahtani avait lancé sur Twitter un appel à rendre publique une liste noire d’opposants. Le rôle d’Ali Alzabarah a également été primordial : embauché chez Twitter en 2013, il avait gravi les échelons et avait accès aux informations personnelles des utilisateurs du réseau social, adresses IP et numéros de téléphone compris.
Mis en congé forcé, Alzabarah a été au cœur d’une enquête interne chez Twitter. Bien que rien n’ait été prouvé, il a été renvoyé en décembre 2015. Aujourd’hui, l’ancien employé de Twitter travaille… pour le gouvernement saoudien. Twitter a alors prévenu les comptes potentiellement surveillés — des journalistes, des universitaires ou encore des chercheurs. L’un des utilisateur, l’écrivain Khalid al-Alkami, a été arrêté. Ce dernier affirmait que son téléphone portable avait été piraté. Un autre compte dissident, anonyme cette fois, a, lui, été fermé.